L’interminable et lamentable histoire des disparus de la rue de Rennes (3)

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CHAPITRE 1
CHAPITRE 2

Résumé : Une quarantaine d’immeubles de la rue de Rennes (75006) semble avoir disparu sans que l’on ne sache ni quand, ni pourquoi, ni comment. Le rapport que Roger Ratinet a établi ne satisfait pas, mais alors pas du tout, Anne Hidalgo, Maire de Paris.

3-Les parapluies de Saint Germain

Où l’on verra le Conseil Municipal se transporter, et où l’on comprendra qu’il n’aurait pas dû.

Tout fut bientôt découvert, et l’on sut très vite que Cottard avait endossé le rapport de son subordonné pour se faire valoir, et que Ratinet avait constaté les faits à la fin juin de l’année précédente, soit plus de sept mois auparavant. Bien que ce délai ne fût pas considéré comme anormal, on contraignit Ratinet à réécrire son rapport en remplaçant partout juin 2016 par mai 2017.

Dans un premier mouvement qu’elle ne devait pas tarder à regretter, Madame la Maire convoqua pour la fin du mois une réunion extraordinaire du Conseil Municipal. Celui-ci mit aux votes une motion selon laquelle il se transporterait sans tarder sur les lieux du drame. La motion fut votée triomphalement à l’unanimité, moins les voix de l’opposition bien entendu.

Le jour où les édiles devaient se rendre sur place, il pleuvait. La veille, on avait disposé des barrières tout le long du parcours que devaient emprunter les officiels et on avait enlevé toutes les voitures en stationnement dans un rayon de quatre-cents mètres autour de l’église Saint-Germain des Prés. Vers 15 heures, les grosses voitures noires commencèrent à arriver sur la place. Les passagers en descendaient et se précipitaient vers le trottoir, courbés sous la rafale en tentant de déplier un parapluie rebelle. Sans qu’ils se soient concertés, les membres de la majorité se retrouvaient tout naturellement devant la terrasse des Deux Magots, tandis que l’opposition se regroupait sur le parvis de l’église. La pluie tombait, les voitures noires fumaient, les parapluies oscillaient, les silhouettes sombres piétinaient devant la porte de l’église. On aurait dit un enterrement de notable. L’illusion fut complète quand le clocher commença à égrener les quatre coups de 16 heures. Vingt minutes plus tard, les badauds qui affrontaient le mauvais temps sur le Boulevard eurent le privilège d’assister à un étrange spectacle : précédé d’une voiture à gyrophare bleu, un petit groupe de cyclistes venant de la rue des Saints-Pères apparut au loin sur le boulevard désert. Il était composé de six vigoureux jeunes gens de la police municipale à VTT encadrant en formation une Maire encapuchonnée et juchée en danseuse sur une bicyclette hollandaise. Rompant la parfaite symétrie du tableau, un homme en costume sombre détrempé courait à côté de la vélocipédiste en luttant contre le vent pour maintenir au-dessus de la tête de la dame un gigantesque parapluie de golf marqué aux armes de la ville. Enfin, en guise de voiture-balai, un Véhicule Léger de Première Intervention des Sapeurs-Pompiers de Paris fermait le ban. Ce que les badauds n’avaient pas vu, c’est que, quelques instants avant d’apparaitre en équipage sur le boulevard, Madame le Maire était descendue en toute discrétion d’un véhicule du service de la voirie devant le 28 de la rue des Saints-Pères pour y enfourcher le vélo municipal que lui présentait l’homme au complet sombre.

Malgré le mauvais temps, Roger Ratinet avait chaud, très chaud. Il sentait la transpiration ruisseler dans son cou et imprégner son col de chemise, à moins que ce n’ait été la pluie qui dégoulinait de son chapeau. Il était dans de tout petits souliers, Ratinet, car dans quelques instants, ça allait être à lui. À lui de guider la petite troupe d’officiels vers la scène de crime, à lui d’exposer ses recherches et ses constatations à Madame la Maire, à lui enfin de recueillir les lauriers que son rapport ne manquerait pas de lui valoir si par chance elle était de bonne humeur. Quelle que soit l’issue de cette journée, il se disait qu’il avait déjà obtenu une satisfaction majeure avec la mise à l’écart de son chef de service. En effet, en disgrâce depuis son entretien téléphonique avec Lubherlu, ce con de Cottard n’avait pas été admis à participer à la visite. Il resterait toute la journée consigné à l’Hôtel de Ville pour assurer la permanence.

Une fois la Maire descendue de son joli vélo, les édiles se rassemblèrent sous sa houlette et leurs parapluies en terrain neutre au milieu du Boulevard. Guidés par un Ratinet qui prenait de plus en plus d’assurance, ils examinèrent les façades des deux immeubles qui formaient désormais l’entrée de la Rue de Rennes en s’attardant un peu sur les deux vitrines prestigieuses qui occupaient leur rez-de-chaussée. Ils processionnèrent à travers la place, passant avec regret devant l’abri qu’aurait pu leur offrir le Café des Deux Magots, jusqu’au carrefour des rues Bonaparte et de l’Évêché où ils ne purent que constater la béance constituée par l’absence, autrement dit la disparition de toute une partie de la Rue de Rennes.

La proposition que leur fit Ratinet d’aller constater cette même absence dans les galeries du Métropolitain fut repoussée par les Services de Sécurité qui n’avaient pas prévu l’évacuation de la station St-Germain. De toute façon, aucun élu n’était en possession de tickets de métro.

La Maire, démontée, déclara qu’elle en avait assez vu et qu’elle allait constituer une commission ad hoc pour examiner la situation. Cette commission comporterait bien entendu toutes les sous-commissions spécialisées nécessaires à l’examen des aspects judiciaires, fiscaux, urbanistiques et électoraux de cette épineuse affaire. Pour l’instant, la plus grande discrétion était recommandée aux fonctionnaires : aucune fuite de leur part ne serait tolérée. Quant aux élus de l’opposition, ceux qui auraient eu des velléités de divulguer la chose en furent rapidement dissuadés par la menace toujours efficace de révélations de petits secrets dont la Maire actuelle avait eu connaissance grâce aux dossiers que lui avait légués le Maire précédent. Les élus de la majorité ne posaient bien entendu aucun problème, puisqu’une indiscrétion leur aurait valu ipso facto la perte de leur investiture aux prochaines élections municipales.

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3 réflexions sur « L’interminable et lamentable histoire des disparus de la rue de Rennes (3) »

  1. Je crois que j’ai compris l’affaire. C’est Sarkozy qui a fauché la rue en question pour détourner l’attention de l’affaire du financement. Mais où donc l’a-t-il mise ?

    Bref, c’est palpitant, et je ne redirai pas la grâce de ce texte.

  2. Oui, c’est bien au 28 rue des St-Pères que l’on commence à pédaler sérieusement;

    Depuis toujours et encore maintenant.

    Merci, Anne de nous le rappeler.

  3. Histoire lamentable! C’est sûr. Confondante! C’est ce que j’ai pensé à son départ. Abracadabrantesque! C’est ce que j’en ai pensé par la suite. Croquignolesque! C’est ce que je pourrais en penser ce matin. Mais, comme je l’ai écrit avant-hier, j’y vois de plus en plus, non pas un hoax, non pas une fake news, non pas une fiction, non pas une simple histoire de pissotière, non non, j’y vois la triste réalité de notre gestion municipale d’aujourd’hui. Je me marre, que dis-je, je me délecte! Quand une réalité affligeante dépasse la fiction, l’humour et le style qui va de pair vaut mieux qu’une analyse fastidieuse des faits. Bravo à l’auteur!
    PS: j’écris d’autant plus facilement ce commentaire qu’au retour d’un voyage avant-hier, j’ai passé l’après-midi au téléphone (facturé 0,05€ la minute, et faut pas être pressé) avec les services du stationnement de la mairie (n°3975, poste 4) car, voulant me procurer le ticket de parking résidentiel, la borne m’annonçait que je n’y avais plus droit, alors que mon abonnement n’était pas arrivé à échéance et que j’avais pris le soin de le renouveler largement à temps. Psychédélique! Toutefois, j’ai eu affaire à chaque coup de fil à des agents extrêmement polis, imperturbables (visiblement des ordres ont été donnés car ce n’était pas leur habitude auparavant) mais inflexibles, ne voulant rien savoir, me proposant un rendez-vous mais pas avant le 4 avril au service adéquat boulevard Carnot pour obtenir un nouvel abonnement et payer le tarif visiteur plein pot en attendant. Je ne sais pas si c’est mes insultes ou mes plaintes pitoyables qui ont eu gain de cause, toujours est-il qu’hier la borne me délivrait le ticket providentiel. Heureusement, je n’ai pas mis mon pied dans une crotte de chien en y allant.

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