Les Heures Sombres – Critique aisée n°113

Critique aisée n°113

Les Heures Sombres (Darkest Hours)
Joe Wright – 2017
Gary Oldman, Kristin Scott-Thomas

Tout le film de déroule entre le 8 mai et le 4 juin 1940, quatre semaines seulement. A ceux, de plus en plus nombreux, qui ont la mémoire courte, rappelons brièvement ce qui se passait à l’époque.
Mai 1940. La « drôle de guerre » durait depuis septembre 1939.
Pour satisfaire l’opposition travailliste, Winston Churchill, partisan d’une attitude ferme contre l’Allemagne nazie avait été nommé Premier Lord de l’Amirauté par Neville Chamberlain, premier ministre assez enclin à la négociation avec Hitler.

Le 8 mai, date à laquelle commence le film, Chamberlain est vivement critiqué par les travaillistes pour n’avoir pas préparé le pays à la guerre.
Le 10 mai 40, l’Allemagne envahit les Pays-Bas et la Belgique. Chamberlain doit démissionner et Winston est nommé premier ministre par le roi George VI.

Pendant ces quatre semaines cruciales, le film nous montrera les colères, les cigares, les hésitations, les cognacs, les doutes, les combats de Churchill pour amener son pays à abandonner toute idée de négociation et, malgré l’encerclement de son armée à Dunkerque, à entrer de toutes ses forces dans la guerre.

On verra Winston appeler à l’aide Roosevelt, encore isolationniste, sans succès. On le verra frappé de stupeur devant Paul Reynaud, Président du Conseil, défait, lui déclarant que les armées françaises sont en déroute et qu’il n’y a pas de plan de contre-attaque, on le verra pleurer de découragement sur l’épaule de sa femme Clémentine, aimante et spirituelle. On le verra aussi amorcer une amitié durable avec Georges VI (le Roi dont, grâce au cinéma, l’histoire ne retiendra malheureusement que le fait qu’il était bègue), bousculer Attlee, chef du parti Travailliste, (un mouton déguisé en mouton, disait Churchill), s’opposer à Lord Halifax, secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, (Holy Fox selon Winston, Hallali Fax selon Goering), on le verra boire continuellement (Comment pouvez-vous boire dans la journée ? lui demande le roi. Avec de l’entraînement, répond W.C.), fumer sans arrêt, bredouiller, bafouiller, s’emporter, mais aussi dicter, raturer et finalement écrire des discours splendides, et particulièrement le dernier (du film, car il en fera beaucoup d’autres), le discours du 4 juin 1940, discours devant la Chambre qui clôt le film : « … Nous ne fléchirons ni ne faillirons. Nous nous battrons dans les rues, dans les champs, nous nous battrons sur les collines et sur les grèves… », discours sublime et galvaniseur, annonciateur de l’incroyable résistance du pays qui pendant plus d’un an sera le seul à s’opposer à Hitler, et auquel le monde occidental devra d’avoir pu anéantir le nazisme. Mais les heures sombres ne font que commencer, on le sait.

Voilà pour l’histoire, ou plutôt l’Histoire.

Pour ce qui est du film, j’ai vu une excellente performance de Gary Oldman, qui s’est composé un physique frappant de ressemblance, et une élocution étonnamment hésitante, dont j’ose croire qu’elle est fidèle à la réalité. Très bonne Kristin Scott-Thomas également, toute en distinction et humour britannique, bonne reconstitution aussi de Londres et de la Chambre. Bien, tout ça… Très correct, de bonne tenue, very british.

Pourtant, avec cet immense personnage que fut Winston Churchill, et avec ce point de basculement de la guerre (quelques semaines plus tard, après la bataille d’Angleterre, W.C. dira dans son style éclatant : « Ce n’est pas la fin. Ce n’est même pas le commencement de la fin. Mais, c’est peut-être la fin du commencement. »), on aurait pu, on aurait dû faire beaucoup mieux. A aucun moment au cours du film, je n’ai éprouvé ce sentiment d’urgence ni cette pression énorme que devait ressentir Churchill devant la décision à prendre, alors que les 300.000 soldats de Sa Majesté bloqués à Dunkerque pouvaient être faits prisonniers incessamment, et laisser l’Angleterre à la merci d’une invasion allemande. Le film ne m’a montré ni les conséquences possibles d’une décision contraire, ni le côté visionnaire de Churchill, qui voulait tenir le temps qu’il faudrait pour que l’Amérique se décide à entrer en guerre. Si vous voulez éprouver ces sentiments, vision de l’avenir, urgence, pression, lisez les Mémoires de Guerre de Churchill, ou même seulement sa biographie par François Kersaudy.

La dernière réplique du film mérite qu’on s’y arrête. C’est celle Lord Halifax, qui s’est opposé à W.C. pendant tout le film. Churchill vient de prononcer le fameux discours et la Chambre, hésitante au début, bascule dans l’approbation de la guerre et l’ovation de l’orateur. Le voisin de siège d’Halifax, ébahi, lui demande « Mais, qu’est-ce qui s’est passé ? » Lord Halifax lui répond :

—He mobilized the English language and sent it into battle.
—Il a mobilisé la langue anglaise et l’a envoyée au combat

Belle phrase — dont le véritable auteur est Edward Burrow , journaliste américain —  qui résume bien ce que le film a voulu montrer sans tout à fait y parvenir.

Post scriptum
Puisque c’est le sujet, je ne résiste pas au plaisir de vous reproduire ici ce qu’a dit Vialatte de l’éloquence de W.C. :
« (…) Churchill disait encore : « Nous ne fléchirons ni ne faillirons. Nous nous battrons dans les rues, dans les champs, nous nous battrons sur les collines et sur les grèves. » Il ajoutait en aparté, bouchant le micro : « A coups de bouteilles ; car nous n’avons guère autre chose. » De tels discours relèvent de la ténacité. A cette échelle, elle sauve le monde. (…) »

Un autre témoignage dont l’auteur m’est inconnu :
« It has been said that Hitler could persuade you that he could do anything but that Churchill could persuade you that you could do anything. »
« On a dit qu’Hitler pouvait vous persuader qu’il pouvait tout faire mais que Churchill pouvait vous persuader que vous pouviez tout faire. « 

ET DEMAIN, UN TEXTE DE MARIE-CLAIRE, LETTRE D’ELISABETH A SOPHIE

Une réflexion sur « Les Heures Sombres – Critique aisée n°113 »

  1. Grand admirateur de Winston Churchill, moi aussi, je me suis précipité voir le film dés sa sortie et je partage intégralement ce qui est écrit dans la critique ci-dessus. Le seul petit reproche que je pourrais faire au réalisateur du film est d’avoir forcé un peu trop le trait caricaturant certaines des manies de Winston Churchill, comme si il avait peur de trahir l’image maintenant acquise (dont on sait que Winston en bon communicant savait en jouer), mais je lui pardonne car cela n’enlève rien à la sympathie, en plus de l’admiration, qu’inspire ce personnage hors du commun.
    J’aimerais insister ici sur une dimension que ce film fait ressentir magistralement qui est celle de la démocratie Anglaise dont Winston Churchill était l’incarnation même, et dont, par ailleurs, j’ai eu l’occasion de parler ici. Car WC n’était pas seulement un lion, un fighter, incapable de concevoir, ni même d’imaginer, la survie de l’Angleterre (donc du Royaume Uni et son empire) sans la victoire. Je reviendrais là-dessus moi aussi dans un PS au-dessous. La vieille démocratie anglaise repose scrupuleusement sur la représentativité de son peuple au parlement et les aspirations profondes du peuple peuvent être trahies par ses représentants qui font avant tout de la politique. Tout ça n’est pas nouveau, et pas qu’en Angleterre! C’est ce que WC, pourtant un homme politique, certes mal aimé de ses pairs, comprenait mieux que quiconque et c’est ce qui lui a permis en définitive de gagner la bataille contres ses pairs défaitistes par la seule puissance de son verbe talentueux. La phrase de Lord Halifax (‘Lord’ s’il vous plait, un grand connaisseur des aspirations du peuple bien entendu!) qui clos le film résume tout magnifiquement.
    PS, en fait j’en ai plusieurs:
    1/ Le concept de la survie impossible de l’Angleterre sans la victoire ne date pas de WC mais remonte, comme sa démocratie d’ailleurs, à son origine au moyen-âge. L’Angleterre (j’emploie volontairement ce nom plutôt que Grande-Bretagne ou Royaume-Uni pour marquer le côté historique) est une île, ne l’oublions pas, et elle a tout de suite compris qu’il lui fallait avoir une marine forte (la fameuse Royal Navy) pour contrer toute invasion dont il y eut plusieurs tentatives au travers des siècles qui échouèrent toutes. Cette Royal Navy a permis à lAngleterre de devenir une puissance maritime et de construire un empire sur lequel le soleil ne se couchait pas. Nos rois de France n’ont pas compris cela et c’est bien dommage. Je lis actuellement un livre, ‘Une histoire de la Marine de guerre française’, écrit par un contre-amiral français qui, ô surprise, ne tarit pas d’éloges sur les prouesses à travers les siècles de sa perfide rivale héréditaire.
    2/ La puissance du verbe de WC aux Communes démontrait bien qu’il n’était pas nécessaire de faire un référendum pour répondre aux aspirations du peuple. David Cameron aurait bien fait de s’inspirer de WC mais il n’en avait pas le talent et il a laissé en héritage un Brexit dont on s’interroge sans comprendre.
    3/ A propos d’Atlee, ‘le mouton déguisé en mouton’, WC en a dit quand celui-ci lui a succédé: ‘Un taxi vide s’est arrêté devant la 10 Downing Street, Monsieur Atlee en est sorti’!
    Sacré Winston, je t’aimerai toujours!

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