Chronique du temps perdu

Après Marcel Proust, voici Alexandre Vialatte qui reconnait l’importance du temps perdu.

Le temps perdu se retrouve toujours. On dit qu’il ne se rattrape jamais. C’est bien possible. Un grand professeur de Normale disait à ses élèves : « Lisez, mais au hasard. Lisez sans nul programme. C’est le seul moyen de féconder l’esprit. » On ne peut savoir qu’après coup si le temps est perdu ou non. Sans le temps perdu, qu’est-ce qui existerait ? La pomme de Newton est fille du temps perdu. C’est le temps qui invente, qui crée,  et il y a deux littératures, celle du temps perdu, qui a donné Don Quichotte, et celle du temps utilisé, qui a donné les feuilletonistes. Celle du temps perdu est la bonne. Le temps perdu se retrouve toujours, cent ans après.

On croit que l’intérêt mène les hommes. Ce n’est pas vrai. Ce sont les passions, et la passion, c’est le rêve et le rêve c’est le temps perdu. Le temps perdu mène le monde. L’homme l’a si bien senti qu’il s’en est fait un but. Le progrès industriel vise à faire de sa vie une période de loisir sans fin et c’est là qu’il se trompe : le temps perdu exprès cesse d’être fécond.

Alexandre Vialatte – Chronique du temps qu’on dit perdu – 2 juillet 1957

7 réflexions sur « Chronique du temps perdu »

  1. « Bazin », m’appelez-vous, Philippe ? C’est trop d’honneur !

    Pour en revenir à mon précédent sujet, votre réponse épaissit encore le mystère. En effet, dans l’édition des Chronique de La Montagne dont je dispose, et qui est bien celle de la collection Bouquins, le texte est différent. Il n’évoque pas « les feuilletonistes », mais « Ponson du Terrail ». Et les deux dernières phrases n’y figurent pas. Il en est de même dans un autre ouvrage, au format poche, que j’ai dans ma bibliothèque et où l’on trouve la même chronique.

    Bizarre, vous avez dit : « bizarre » ? Comme c’est bizarre…

    Bien à vous.

  2. Pour pasticher Vialatte, je cherchais une phrase du style « Et c’est ainsi qu’Allah est grand » afin de conclure chacun de mes textes. J’avais donc choisi « Nous n’avons pas le cul sorti des ronces mais quelle belle jeunesse nous passons ». Je trouvais ça rigolo mais je ne l’ai jamais utilisée.

  3. En réponse à Rémi Bazin : j’ai extrait ce texte des « Chroniques de la Montagne » 1952-1961 – Collection « Bouquins » chez Robert Laffont.
    Le titre original de cette chronique est « Chronique du temps qu’on dit perdu ». Elle date du 2 juillet 1957 et figure aux pages 530 à 533. Les dernières phrases figurent dans la partie haute de la page 532.
    Ravi de rencontrer sur ce journal un amateur de cet auteur qui disait de lui-même qu’il était un écrivain notoirement méconnu.
    Et c’est ainsi qu’Allah est grand.

  4. Bonjour,

    Je « réveille » ce billet, plus d’un an après sa publication, car il me laisse dans un abîme de perplexité, dont seul l’hôte de ces lieux, à l’évidence, saura me sortir.

    En effet, pour avoir lu cette chronique dans l’édition des Chroniques de La Montagne, tome 1, collection « Bouquins », l’on ne trouve pas les deux dernières phrases. Où les avez-vous trouvées ? J’en suis d’autant plus troublé que l’on retrouve ce texte, à l’identique, dans l’émission « Ca peut pas faire de mal », de Guillaume Gallienne, consacrée à « notre » Alexandre le Grand. Qu’en est-il, donc ?

    Merci d’avance de votre réponse.

  5. Alexandre Vialatte s’attaque là à sa façon habituelle à un vaste sujet, celui du temps, et plus précisément celui du temps perdu. Je ne m’aventurerai pas dans des considérations scientifiques ou philosophiques qui échappent à ma compréhension de vulgum pecus. Si je dis à un importun “tu me fais perdre mon temps”, je me demande “puis-je perdre quelque chose que je ne possède pas”? Il faut être un zadiste de Notre-Dame-des-Landes pour se déclarer usufruitier d’une terre – comme du temps – qu’il ne possède pas en droit et refuser de s’en dégager. Eh oui, l’esprit de Mai 68 n’est pas mort car il bande encore, car il bande encore!

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