Archives mensuelles : juin 2017

¿ TAVUSSA ? (26) Donald, qui es-tu ?

Mais, dis-moi, Donald, qui es-tu exactement ?

Néron
ou
Caligula ?

Aldo Maccione
ou
Don Corleone ?

Espion russe
ou
Espion russe ?

Menteur
ou
Mythomane ?

Bavard impénitent
ou
Crétin des Alpes ?

Tartuffe
ou
Scapin ?

Mister Bean
ou
Lord Blackadder ?

Henri VIII
ou
Ubu roi ?

Murphy
ou
Peter ?

Léonard Michalon
ou
Le schpountz ?

Laurel
ou
Hardy ?

Donald
ou
Goofy ?

Un peu tout ça, sans doute ?

Did you say fake news, Ivanka ?

Perception is more important than reality. If someone perceives something to be true, it is more important than if it is in fact true.
This doesn’t mean you should be duplicitous or deceitful, but don’t go out of your way to correct a false assumption if it is at your advantage.

Ivanka Trump
The Trump Card – Playing to win in working life (2009)

La perception est  plus importante que la réalité. Si quelqu’un pense que quelque chose est vrai, c’est plus important que si cette chose est effectivement vraie.
Cela ne veut pas dire que vous devez être menteur ou malhonnête, mais ne vous attardez pas à corriger une hypothèse fausse si elle est à votre avantage.

La panne

Vous l’avez peut-être constaté vous-même : ces derniers temps, dans le Journal des Coutheillas, les photos deviennent plus nombreuses, les chroniques politiques plus présentes, les citations plus fréquentes, avec même une tendance à grossir en prenant la tournure d’extraits de textes ou de morceaux choisis, et les textes, les vrais, deviennent plus rares. Il y a même des recyclages de parutions anciennes et des appels à des confrères ou consœurs écrivants (ne cherchez pas ce mot dans votre Larousse habituel : il n’existe pas, c’est un vilain néologisme. Inventé sans doute par Roland Barthes pour faire le malin, ce participe présent devenu substantif est censé désigner quelqu’un qui écrit sans pour autant être écrivain, ce qui me permet de faire référence à mon activité d’écriture en toute fausse modestie).

Bref, vous ne vous y êtes pas trompé, tous les signes sont là : ceux de la panne, toute proche, la panne de l’écrivant.  D’ailleurs, le fait de tirer à la ligne de cette manière hypocrite et laborieuse n’en est qu’un de plus.

Depuis bientôt quatre ans, l’éditeur que je suis vivait dans un confort moral assuré par un programme de publication rempli à ras-bord pour les trois ou quatre mois à venir. Ce programme, dont vous avez admiré la régularité, prévoyait à peu près un collage, deux photos, deux citations et deux textes par semaine. C’est ainsi que près de cinq cents textes courts ou chapitres de textes longs (ça fait à peu près quatre cent mille mots, soit trois fois plus que n’en compte l’Iliade !) ont été publiés, provoquant l’admiration, l’étonnement et/ou/puis la lassitude de plus d’un. Mais comment fait-il, se demandait-on ici et ailleurs, mais quel est son secret pour produire autant, et avec une telle régularité ? Un secret, moi ? Mais je n’ai pas de secret ! Et de toute façon, la question ne se pose plus, puisque c’est la panne. A part quelques méchants propos (je précise : méchant, au sens désuet de « sans importance ») sur les fantômes d’Ismaël ou sur ceux de Macron, je n’ai rien écrit depuis deux mois et je vais bientôt toucher le fond de mon stock de textes originaux.

Bon ! Je viens de tirer près de quatre cents mots, c’est déjà ça, juste pour vous annoncer qu’il faut vous attendre dans les semaines qui viennent à quelques rediffusions de titres déjà publiés.

Lorsque ce sera le cas, je ne crois pas que je vous le spécifierai : comme ça, on verra si vous êtes attentifs.

Le zeugma

Morceau choisi

Zeugma
n.m. (mot grec signifiant réunion). Procédé tordu qui consiste à rattacher grammaticalement deux ou plusieurs noms à un adjectif ou à un verbe qui, logiquement, ne se rapporte qu’à l’un des noms. Suis-je clair ? Non ? Bon.

Exemple de zeugma : « En achevant ces mots, Damoclès tira de sa poitrine un soupir et de sa redingote une enveloppe jaune et salie » (André Gide). C’était un zeugma.

En voici un autre : « Prenant son courage à deux mains et sa Winchester dans l’autre, John Kennedy se tira une balle dans la bouche » (Richard Nixon, J’ai tout vu, j’y étais).

Plus périlleux, le double zeugma : « Après avoir sauté sa belle-sœur et le repas du midi, le Petit Prince reprit enfin ses esprits et une banane » (Saint-Exupéry, Ca creuse).

Tel est le zeugma. Il était bon, ami lecteur, que tu le susses. Oh, certes, on eut très bien vivre sans connaitre la signification du zeugma. Une récente statistique nous apprend que plus de quatre-vingt-quinze pour cent des mineurs lorrains ignorent totalement ce qu’est un zeugma ! Est-ce que cela les empêche d’aller au charbon en sifflotant gaiement la Marche turque ? Mais introduisez maintenant l’un de ces mêmes mineurs dans un salon mondain, et branchez la conversation sur le zeugma : qui a l’air con ? C’est le merle des corons, avec ses gros doigts noirs sur la flute à champagne. Il ne lui restera plus qu’à filer en tâchant de reprendre sa dignité et sa pioche dans le porte-parapluie, et de réintégrer son HLM horizontale en sifflant tristement le final de l’Œdipus rex de Stravinski.

Pierre Desproges – Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis – France Loisirs

L’étranger

Je décroche le gros téléphone noir. La voix me dit de ne pas bouger, de rester à l’hôtel ce matin. La voix est inquiète. Pas affolée, mais inquiète. Je la connais, cette voix. C’est celle du responsable du bureau. Il est venu m’accueillir hier soir à l’aéroport. Il parle très bien le français, avec application, mais il a un fort accent, presque caricatural. On dirait Michel Leeb quand il raconte une blague africaine. Il me dit qu’il se passe des choses. Il ne sait pas vraiment quoi, mais il se passe des choses. Il me dit de ne pas bouger, qu’il me rappellera. Je raccroche en finissant de m’habiller. J’ai choisi un costume ultra léger, beige clair, chemise bleu ciel à manches courtes. C’est mon premier jour ici. Je dois faire bonne impression. Immobile sous le ventilateur qui tourne au plafond, je finis de nouer ma cravate club rayée rouge et bleue, puis je traverse la chambre en réfléchissant. Que se passe-t-il ? Pourquoi ne pas bouger ? Y aurait-il du danger ?

La radio de l’hôtel enchaine les morceaux de musique classique. J’allume la télévision : un chien saute à travers la fenêtre d’une cabane en feu. Je reconnais Rintintin. Je vais jusqu’à la fenêtre. Je regarde dehors. La Place de la Révolution s’étend devant moi, bien propre, presque déserte. Deux hommes en bermuda bleu marine arrosent le bitume avec de longs tuyaux jaunes qui les relient à un camion citerne. Ils ne portent pas de chemise. Les serveurs des cafés qui, le jour, occupent la centre de la place installent les tables, apportent les chaises, déplient les parasols. Les tables et les chaises sont toutes pareilles, mais pour les parasols, chaque établissement a sa couleur. La plus jolie, c’est la couleur crème, mais le noir est beau aussi. Deux blancs sont installés à une table sous un parasol noir et boivent un café.

C’est mon premier matin à Savrola et tout semble normal, complètement normal.

Je sors de ma chambre et sans prendre l’ascenseur, je descends les deux étages. Le hall est tranquille. Le concierge me salue et me dit une aimable banalité en anglais. Tout est normal.

En sortant de l’hôtel, je prends le Boulevard du Président  N’Gan-Yonn sur ma droite, puis la première rue à droite. Le bureau n’est pas loin. J’ai repéré les lieux hier. J’y serai dans un quart d’heure. Il est sept heures vingt-cinq. Les gens que je croise marchent vite. Un embouteillage commence à se former quelque part. Des klaxons s’énervent. Je vais atteindre l’Avenue d’Okabangui où je prendrai à gauche.

Des détonations se font entendre. Je me dis que ce doit être des pétards. Je continue à marcher. Nouvelles détonations. Je pense : « …des pétards à cette heure … peu probable … peut-être des pots d’échappement… » Non, leur rythme ressemble à celui d’une mitraillette. D’ailleurs, d’autres mitraillettes viennent de se faire entendre. Je me suis arrêté de marcher à l’angle du Boulevard et je regarde devant moi, derrière moi, à droite, à gauche, au-dessus de moi. Rien ne me permet de savoir d’où viennent ces détonations. Je regarde les passants. Ils font comme moi, regardent en l’air, enfoncent leur cou dans leurs épaules et accélèrent le pas. La rue se vide. Je pense qu’il vaut mieux faire demi-tour. L’hôtel est encore tout près.

Il n’y a personne dans le hall. Je me penche par-dessus le comptoir pour prendre la clé de ma chambre. L’ascenseur ne fonctionne pas. Le plateau du petit déjeuner a été débarrassé, mais le lit n’est pas fait.  La radio reste silencieuse et le ventilateur est immobile. Ma fenêtre est restée ouverte. Je regarde la place. Elle est presque vide. Deux ou trois voitures, quelques passants pressés la traversent. Je vais sur le balcon. Il commence à faire chaud. Les arroseurs sont partis.

Un bruit monte et emplit l’air. Je le reconnais. C’est celui d’un hélicoptère. Je le vois maintenant. C’est un Tigre. Il vient s’immobiliser au-dessus du centre de la place. Des volutes de poussières s’élèvent. Deux parasols noirs renversés traversent la place en virevoltant comme des danseuses. Ils viennent se bloquer contre une façade, agités de soubresauts. D’un seul coup, comme un frelon qui se décide, l’hélicoptère pique un peu du nez et part à toute vitesse pour disparaître derrière les toits sur ma droite.

Le silence règne maintenant sur la Place de la Révolution. De temps en temps, des rafales de mitrailleuses et des coups de feu isolés se font entendre dans le lointain. Entre les détonations, c’est le silence. Il n’y a plus de passants, plus de voitures, plus rien. Je suis debout sur le balcon, les bras ballants. J’attends je ne sais pas quoi.

Un nouveau bruit est en train de naître et de grandir. Je n’arrive pas à le reconnaître ni à comprendre d’où il vient. On dirait le rideau métallique d’un magasin que quelqu’un remonterait sans fin.

Le bruit se précise et devient évident, je le reconnais : c’est celui des chenilles d’un char d’assaut. J’ai entendu des chars une fois quand je faisais mon service militaire à Biville. D’ailleurs, maintenant, dans le vacarme, on entend le bruit du gros moteur. Trois secondes plus tard, le nez de l’engin apparait. Le char entre sur la place. Il est de couleur crème, comme les parasols. Son canon est à l’horizontal. Il s’arrête en plein milieu de la Place de la Révolution. Il pivote sur lui-même et renverse deux fauteuils métalliques. Ses chenilles marquent le bitume de traces noires et luisantes. Il lève lentement son canon et s’immobilise. Son moteur tourne au ralenti. Je me penche en avant et je pose mes mains sur la rambarde de béton du balcon. Fasciné par le spectacle, je n’ai pas vu arriver un deuxième puis un troisième char. Ils viennent se placer à côté du premier char en écrasant quelques tables, puis ils s’immobilisent et lèvent lentement leur canon.

Je regarde les trois chars, leurs canons dressés à quarante-cinq degrés vers le ciel. Aucun soldat n’est visible.

Une première tourelle se met à tourner lentement sur elle-même avec un bruit de mécanique bien huilée. La deuxième tourne à son tour, puis la troisième. A présent, les canons sont pointés en éventail dans trois directions différentes. Je remarque qu’aucun n’est orienté vers mon balcon.

Plus rien ne bouge, les chars, les arbres, moi sur mon balcon. Je vois la fumée bleue qui sort des trois pots d’échappement verticaux. Je sens l’odeur du gas-oil qui monte avec la chaleur. J’entends le bruit calme du ralenti de leurs gros moteurs. A l’angle de la place, le feu du Boulevard N’Gan-Yonn passe au rouge, au vert, à l’orange, au rouge, au vert…

Et puis le premier char tire. Je sursaute violemment et, sans comprendre comment, je retombe à genoux sur le balcon. Le deuxième char tire à son tour et je ressens comme un coup dans le sternum. Le troisième char tire et mes oreilles sifflent. Le premier char tire à nouveau, puis le second, puis le troisième. À chaque obus, une courte flamme éclaire la place d’une lueur orange. L’hélicoptère est revenu. Il vole en stationnaire au-dessus des chars. Les arbres se tordent dans le souffle de ses pales. Le rythme des coups de canon s’accélère. Maintenant c’est presque un roulement continu derrière lequel se distingue le wouche-wouche-wouche de l’hélicoptère.

C’est une musique superbe, un spectacle grandiose. Tout mon corps vibre. J’ai la chair de poule.

Et puis les canons se taisent brusquement.

L’hélicoptère s’éloigne et disparaît.

C’est fini.

J’ai envie d’applaudir.