Archives mensuelles : mars 2017

Troisième lettre de Beuzeville

Beuzeville, aujourd’hui

Mon très cher fils,

Je n’ai toujours pas reçu de réponse aux deux lettres que je t’ai envoyées depuis que tu es parti à la ville. Ça me contrarie beaucoup parce que je ne sais toujours pas où tu habites.
Nous aussi, nous avons déménagé, parce que ton père a lu dans le journal que la plupart des accidents de voiture arrivent à moins d’un kilomètre de la maison. C’est pourquoi nous avons trouvé une nouvelle maison un peu plus loin.
Depuis que tu es parti et que ton père passe son temps à cueillir des trèfles dans les prés environnants, j’ai beaucoup de temps et je regarde la télévision. Je dois te dire que j’ai été bien contente d’apprendre l’autre jour sur France 3 Normandie qu’au Texas, on avait refusé de donner une dernière cigarette et un dernier verre d’alcool à un condamné à mort. Le «si strict à tourner » (c’est comme ça qu’ils appellent les juges en Amérique) a dit que c’était contraire au règlement sanitaire de la prison. C’est pas chez nous qu’on prendrait autant soin de la santé des gens.
Enfin, j’espère que cette nouvelle lettre te trouvera en bonne santé là où tu es et où que ce soit.

Ta mère qui t’embrasse très fort et toi de même.

 

 

​La dernière lettre de César

temps de lecture : 5 minutes

Vous avez sans doute lu ici il y a quelques jours le magnifique texte de Plutarque racontant la mort de César, assassiné dans le Théâtre de Pompée par une bande de sénateurs le 15 mars de l’année 44 avant J.C.
Voici la traduction de la très surprenante lettre qui a été retrouvée dans un coffret miraculeusement intact lors du percement d’une nouvelle galerie de métro sous la colline du Mont Palatin. C’est la lettre qu’écrivait César à son fils adoptif, Octave, celui qui deviendra bientôt Auguste, le vrai fondateur de l’Empire Romain.

Ave, Octave,
A toi, mon fils, salut.

Celle-ci est la dernière lettre Continuer la lecture de ​La dernière lettre de César

La Garçonnière (Critique aisée 93)

Critique aisée n°93

La garçonnière
D’après le film de Billy Wilder (1960)
Adaptation de J.Elmaleh et G. Sibleyras
Metteur en scène : José Paul
Théâtre de Paris
Guillaume de Tonquedec
Claire Keim

Les adaptations pour le théâtre de grands films semblent à la mode en ce moment. Après « Les Damnés » (de Visconti) et « La Règle du Jeu » (de Renoir), voici « La Garçonnière » de Billy Wilder, présenté au Théâtre de Paris.

Le film de Billy Wilder date de la splendeur de la comédie sentimentale américaine. Dans un New York en noir et blanc et en Cinémascope, un petit employé d’assurance monte dans la hiérarchie de sa compagnie en prêtant à ses supérieurs, pour quelques heures et quelques frasques, son petit appartement de Manhattan. Mais il va tomber amoureux de la liftière qui est aussi la maitresse du grand patron. Inutile d’en raconter davantage, vous verrez bien vous-même.
Les deux principaux comédiens, parmi les meilleurs de leur temps, étaient Jack Lemmon et Shirley MacLaine. Ils donnaient à ce film un ton de naïveté, de tendresse et de drôlerie. En 1961, le film obtint cinq Oscars, dont ceux du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur scénario.

Quand quelqu’un, un producteur par exemple, vous demande de monter au théâtre une adaptation de La Garçonnière, on se dit que ça ne va pas être trop difficile. On visionne le film une douzaine de fois, on choisit un comédien au jeu léger, plutôt connu de préférence, et s’il ressemble un peu à Jack Lemmon, c’est tant mieux. On prend une jolie comédienne, et si elle n’a pas l’air innocent et naïf de Shirley MacLaine, c’est tant pis. On leur fait voir le film et apprendre le texte. Ensuite, on imagine un décor magnifique et compliqué qui permettra de représenter par quelques tours de plateau et quelques glissades de meuble, presque tous les lieux où l’action du film se déroule. Et voilà, c’est fait. Inutile de tenter d’adapter vraiment pour le théâtre cette douce comédie puisque quelques habiletés de décors vous en dispensent.

On a donc ici un excellent travail de décorateur, un travail honnête de comédiens, un travail paresseux de mise en scène et un travail inexistant d’adaptation.
Alors, à quoi bon aller voir la pièce, qui ne sera qu’une pale, très pale, copie du film, copie dans laquelle auront été effacées toutes les tendres scènes de séduction d’une liftière suicidaire par un employé de bureau timide. Ce n’est ni la faute des acteurs, sympathiques, ni celle de l’adaptation, inexistante, mais celle du choix d’un décor trop  compliqué et d’une salle trop grande, deux obstacles à l’intimité de certaines scènes. On veut montrer trop de choses à la fois et le charme disparait.

Allez donc plutôt revoir le film.

P.S. Dans le cadre de cette vague d’adaptation au théâtre de films que nous avons aimé, on attend avec impatience celles de Apocalypse Now ou de Laurence d’Arabie.

La mort de César

C’est aujourd’hui le 2061ème anniversaire de la mort de Jules César. Recueillons nous.

Voici l’un des textes historiques les plus beaux et les plus dramatiques que je connaisse. Ecrit il y a 1900 ans, un peu plus d’un siècle après les faits, Plutarque rapporte ici les circonstances d’un évènement historique qui, plus certainement que la longueur du nez de Cléopâtre, a changé la face du monde, l’assassinat de Jules César.
Admirez l’extraordinaire simplicité du style, sa précision, sa densité, son rythme. On y est, en plein milieu de la scène. D’autant plus que ça se passe à Rome, dans le Théâtre de Pompée.
Nul doute que Shakespeare et les créateurs de la formidable série « Rome » connaissaient ce texte par cœur.

Lorsque César entra, les sénateurs se levèrent pour lui faire honneur. Quant aux complices de Brutus, les uns se rangèrent en cercle derrière le siège de César et les autres allèrent au devant de lui comme pour joindre leurs prières à celles de Tullius Cimber, qui demandait le rappel de son frère exilé ; et ils le prièrent en l’accompagnant jusqu’à son siège. Une fois assis, il essaya de repousser leurs prières et comme ils le pressaient plus vivement, se fâcha contre chacun d’entre eux. Alors Tullius saisit sa toge à deux mains et la tira en bas du cou, ce qui était le signal de l’attaque. Casca le premier le frappe de son épée à la nuque, mais le coup n’était pas mortel ni profond, troublé qu’il était, naturellement, de commencer un si grand coup d’audace. Aussi César, se tournant vers lui, put-il saisir l’épée et arrêter son bras. Ils s’écrièrent tous deux en même temps, celui qui avait reçu le coup en latin : « Scélérat de Casca, que fais-tu ? », et celui qui l’avait donné, en grec, à l’adresse de son frère : « Mon frère, au secours ! » L’affaire ainsi lancée, tous ceux qui n’étaient pas dans le secret du complot furent saisis d’horreur et parcourus d’un frisson devant ce qui se passait, incapables d’oser ni prendre la fuite ni défendre César ni même proférer une parole. Cependant les conjurés ayant tiré chacun leur épée, César, encerclé de tous côtés, ne rencontrait, où qu’il portât le regard, que des épées qui le frappaient aux yeux et au visage, telle une bête sauvage traquée, et se débattait, balloté entre toutes les mains armées contre lui, car tous devaient avoir leur part au sacrifice et goûter à ce sang. Aussi Brutus lui même porta-t-il un coup à l’aine. Alors, selon certains, César, qui se défendait contre les autres et se jetait ici et là en poussant de grands cris, lorsqu’il vit Brutus l’épée dégainée, se couvrit la tête de sa toge et se laissa tomber, poussé par le hasard ou par ses meurtriers, sur le piédestal de la statue de Pompée. Il l’inonda de son sang, si bien qu’il semblait que Pompée présidât à la vengeance qu’on tirait de son ennemi, étendu à ses pieds et palpitant sous l’avalanche des blessures. On dit en effet qu’il en reçut vingt-trois et plusieurs des conjurés se blessèrent mutuellement en infligeant à un seul homme tant de coups.

Plutarque – Vies parallèles

Incident de frontière – Chapitre 13

Résumé des chapitres précédents :
Mai 1970. En ce bref temps de paix au Proche-Orient, trois Français, Jean-Pierre, Françoise et Christian, deux Américains, Bill et John, trois Américaines, Tavia, Patricia et Anne et une Australienne, Jenelle, réunis dans deux petites voitures, viennent de passer un long weekend en Syrie. Il y a eu quelques incidents, quelques disputes, quelques déceptions amoureuses, mais tout est rentré dans l’ordre et la vie de ces étrangers a repris à Beyrouth. Voici la fin de l’histoire.

Chapitre 13

Jenelle ne partit pas le lendemain. Elle n’alla même jamais à Téhéran. Quinze jours plus tard, elle rentrait à Paris avec Christian. Ils ne vécurent ensemble que quelques mois. On proposa à Christian le poste d’économiste pour l’étude du Plan de Transport de Côte d’Ivoire. Il l’accepta. C’était une grosse mission qui commençait, importante pour son avenir professionnel. Mais l’Afrique Noire n’attirait pas du tout Jenelle. Elle refusa de l’accompagner.

Quelques jours avant le départ de Christian pour Abidjan, elle quitta Paris pour Berlin où elle retrouva un groupe de rock néerlandais en tournée. Elle fit une petite carrière de chanteuse. Victime d’un grave accident de la route en Ukraine, Continuer la lecture de Incident de frontière – Chapitre 13