Archives mensuelles : juillet 2016

La vie n’est qu’un théâtre et chacun y joue son rôle (W.S.)

(…) Or, qu’est-ce que la vie, sinon une sorte de comédie où chacun remplit son rôle sous un déguisement qu’il change souvent, si souvent que roi tout à l’heure sous la pourpre, le même acteur reparaît l’instant d’après esclave sous des haillons, jusqu’à ce qu’enfin l’imprésario le force à quitter la scène ! Telle est, sur ce monde sans consistance, la farce qui se joue chaque jour.

Erasme 
Eloge de la folie (cinquième jour des ides de juin 1508)

Le monde entier est un théâtre, et les hommes et les femmes ne sont que des acteurs ; ils ont leurs entrées et leurs sorties. Un homme, dans le cours de sa vie, joue différents rôles ; et les actes de la pièce sont les sept âges.

William Shakespeare
Comme il vous plaira

Tout est revenu

En un instant, tout est revenu, tout ce qui s’était passé avant, notre retour du cinéma de la rue d’Odessa, notre discussion sur les amis qui viendraient diner ce soir, sur Cate Blanchett, sur la différence entre la beauté, la classe et le charme, sur la douceur de la température, notre choix de prendre par l’extérieur du Luxembourg plutôt que de traverser le jardin, notre attente au bord du trottoir que le petit bonhomme devienne vert, et puis ce petit choc sur le côté de la tête, et moi qui me sentais vaciller et m’affaisser doucement contre le feu de circulation, et qui restais là, la tête penchée sur mon épaule, qui croyais que j’avais glissé, ou bien que j’avais eu un étourdissement, enfin rien, que j’allais me relever, qu’il suffirait de vouloir, mais que j’allais me reposer là encore un peu parce que j’étais fatigué et que j’avais Continuer la lecture de Tout est revenu

La suite de Balbec – Chap.5 – Le petit Marcel

Bon, je vous donne les derniers mots du chapitre précédent, mais c’est bien la dernière fois !

… je vis, en grande lettres capitales soigneusement tracées à la règle et au compas, mon nom. Mes jambes fléchirent et je tombai assis à côté du gros livre. C’était le mien ! Mon Gaffiot ! Celui que j’avais revendu dès la fin de ma classe de seconde.

-Ça y est ? Vous avez compris ?

5-Le petit Marcel

Je sursautai et levai les yeux : c’était la petite silhouette silencieuse de tout à l’heure. Maintenant que je l’observais depuis le niveau du sol où j’étais tombé assis, saisi par la surprise, il me paraissait grand, très grand. Pourtant, il se dégageait de lui une impression de douceur et de grande sagesse. En un éclair, je me souvins que c’est à peu près comme ça que je m’imaginais le Bon Dieu quand je faisais mes prières le soir avec maman, moi, les yeux fermés, à genoux devant mon lit, coudes appuyés sur la couette et elle, assise sur le lit, me regardant et me soufflant quand il fallait les mots qui me manquaient.

-Est-ce que j’ai compris ? Je ne sais pas. Je ne suis pas sûr.

-Réfléchissez encore un peu, me dit-il. Qu’avez-vous vu ici depuis que vous êtes entré ?

-Eh bien, des stylos, des carnets, des livres, un dictionnaire de latin, vous…

-Et ces objets, ces livres, vous les connaissiez ? Et moi, vous me connaissiez ? Continuer la lecture de La suite de Balbec – Chap.5 – Le petit Marcel

La suite de Balbec – Chap.4 – La librairie

Si vous voulez savoir ce qui s’est passé avant, allez donc consulter le JdC des 3 jours précédents ! Non mais sans blague, je ne vais quand pas tout faire ! Bon, voila le chapitre 4

4-La librairie

Je passai ensuite de l’autre côté du magasin, celui qui était consacré à la littérature. Je me faufilai entre deux rayonnages de bois dont les étagères se courbaient sous le poids des livres. Curieusement, la plupart d’entre eux n’étaient que d’autres exemplaires de ceux que j’avais vu un peu plus tôt dans la vitrine. Hugo, Dickens, Maupassant… Je prélevai un exemplaire de Bel-Ami et me mis à le feuilleter. Ses pages étaient blanches. Je reposai Bel-Ami et saisi une Madame Bovary voisine. À part la première, qui reprenait le nom du roman et celui de son auteur, toutes les autres pages étaient vierges. Étrange ! Je pensai alors que je me trouvais devant un stock de rebuts d’imprimerie destinés au pilon. Je relevai la tête. La silhouette sous la lampe avait disparu. J’avançais entre les rayons de plus en plus éloignés de la vitrine donc de plus en plus sombres. Je remarquai plusieurs changements : du blanc cassé ou jaune filasse ou marron clair, les dos des livres étaient passés au rouge vif, bleu ciel, rose bonbon, vert pomme. Les dimensions aussi variaient d’un volume à l’autre, créant sur les étagères des falaises crénelées comme on en rencontre en Islande. Je m’arrêtais devant Continuer la lecture de La suite de Balbec – Chap.4 – La librairie

La suite de Balbec – Chap.3 – Les Cahiers du Temps

Si vous ne savez plus où vous en étiez, relisez donc la fin du chapitre 2. La voici :

…A un moment, je butai dans je ne sais quoi et je m’affalai sur le sol en me cognant violemment la tête contre quelque chose d’incroyablement dur.

-Acréroneteudiouderoneteudiou ! jurai-je en m’adressant au trottoir. Acréroneteudioudemordeldeberde !

3-Les Cahiers du Temps

Je me relevai, étourdi, en me frottant le front. J’avais froid, j’étais furieux et fatigué et mes deux genoux me faisaient souffrir. J’allais rebrousser chemin et retourner au chaud à mon hôtel quand je vis un spectacle étrange : noyée dans le brouillard, une vague lueur orangée avançait vers moi par petits bonds successifs depuis le fond de la rue. Quand elle arriva juste au dessus de moi, je m’aperçus qu’elle provenait des réverbères de la ville qui venaient de s’allumer l’un après l’autre. J’étais maintenant baigné dans un cône de lumière jaune qui se découpait dans la masse sombre du brouillard qui m’entourait. Je levais les yeux et c’est alors que je vis l’enseigne.

Au-dessus de la porte d’entrée, accrochée par deux chaines rouillées à une tige torsadée que l’on avait plantée dans la façade à colombage, pendait une petite plaque de métal sur laquelle avaient été peintes en noir sur fond vert foncé les lettres gothiques qui formaient les mots « Les Cahiers du Temps ». Le nom du magasin était Continuer la lecture de La suite de Balbec – Chap.3 – Les Cahiers du Temps

La suite de Balbec – Chap.2-Le Grand Hôtel

Pour vous remettre dans le bain, voici la fin du chapitre précédent :

…Je cherchais Balbec et son Grand Hôtel dans le Guide Michelin, mais ils n’y étaient pas. Je dus me rendre à l’évidence : Balbec n’existait pas. Pas de problème, Google m’apprit en moins d’une minute que Balbec était en fait le faux nom de Cabourg, et qu’il y existait bien un Grand Hôtel.

2-Le Grand Hôtel

J’appelai l’hôtel et je demandai à parler au Directeur. Je lui fis part de mon projet. Un type charmant. Il m’expliqua que lui et toute son équipe seraient ravis d’accueillir un auteur sur les traces du grand Marcel Proust. Il ajouta qu’ils avaient une grande habitude de mon genre de clientèle. En effet, me dit-il, depuis plus d’un demi-siècle, le Grand Hôtel avait l’honneur de recevoir chaque année au moins un écrivain et deux ou trois journalistes ayant le même souci : se replonger dans l’ambiance proustienne du tournant du dix-neuvième siècle. Le Grand Hôtel avait donc mis au point une offre spéciale qu’elle avait appelée « Une suite à Balbec« . Proposée uniquement aux professionnels, écrivains, cinéastes, journalistes et assimilés et pour un séjour minimal d’une semaine, « Une suite à Balbec » comprenait la jouissance de la suite même où Monsieur Proust avait séjourné, le petit déjeuner continental servi dans la chambre, et les deux repas principaux à la table que l’auteur de la Recherche avait honorée de sa présence. Selon les humeurs du temps, le thé pouvait être servi sur la terrasse ou dans le petit salon. La décoration de la suite « Balbec » avait été refaite entièrement l’année précédente, mais en stricte conformité avec ce qu’elle était du temps Continuer la lecture de La suite de Balbec – Chap.2-Le Grand Hôtel