Archives mensuelles : juillet 2015

Qu’est que t’as fait à la guerre, Papa ? (13-Grand messe)

Samedi 20 juillet 1940

Aujourd’hui un journal de Châlon sur Saône du 30 juin est tombé sous nos yeux. Comment est-il venu là ? En tous cas, il nous apprend pas mal de choses…les limites de l’occupation allemande, certaines clauses de l’armistice : libération des prisonniers à la Paix ! Que foutent-ils, dit Prunet, pourquoi ils ne la signent pas, cette paix ?…Les allemands sont loin sur notre sol. Tristesse. Ils n’ont pas l’air de s’être comportés comme en 1914. On verra plus tard.

Nous sommes oubliés, abandonnés de nos Continuer la lecture de Qu’est que t’as fait à la guerre, Papa ? (13-Grand messe)

Qu’est que t’as fait à la guerre, Papa ? (12-Artisanat)

Artisanat
19 Juillet 40

Encore une nuit passée dans mon cagibi. Il fait froid, il pleut.
Il est six heures du matin. Prunet se rase. Dumousseau dort encore. Mas commence à dire des bêtises.
Si seulement on pouvait compter les jours ! Les heures sont de plus en plus longues. Il pleut à torrent. Nous sommes contraints de rester à deux cents dans cette chambre.

Nous sommes maintenant à l’âge du bronze : chacun se fait une bague dans des pièces de monnaie. Vingt-cinq centimes devient une bague en argent, deux francs devient une bague en or. Dumousseau a inventé Continuer la lecture de Qu’est que t’as fait à la guerre, Papa ? (12-Artisanat)

Les guillemets (Critique aisée n°58)

Voici ce que disait Proust il y a cent ans de cette agaçante manie qui consiste à parler entre guillemets. A l’époque du petit Marcel, on ne soulignait cet artifice que par une intonation spéciale (machinale et ironique, comme le dit le narrateur). Aujourd’hui, dans une époque de smileys, d’idéogrammes et d’acronymes infantiles, on croit bon de faire la même chose en y ajoutant ce geste stupide qui consiste à lever les deux mains à hauteur des épaules en dressant l’index et le majeur de chaque main de manière à former deux sortes de V, puis à plier ces quatre doigts à deux reprises. En ayant tracé ainsi dans l’espace deux guillemets de part et d’autre de son visage, on se croit autorisé, par cette typographie virtuelle, à dire n’importe quelle ânerie, pensant s’en être désolidarisé à l’avance par la mimique à la dernière mode.

« …et je remarquai, comme cela m’avait souvent frappé dans ses conversations avec les sœurs de ma grand’mère que quand il parlait de choses sérieuses, quand il employait une expression qui semblait impliquer une opinion sur un sujet important, il avait soin de l’isoler dans une intonation spéciale, machinale et ironique, comme s’il l’avait mise entre guillemets, semblant ne pas vouloir la prendre à son compte, et dire: «la hiérarchie, vous savez, comme disent les gens ridicules»? Mais alors, si c’était ridicule, pourquoi disait-il la hiérarchie?). Un instant après il ajouta : «Cela vous donnera une vision aussi noble que n’importe quel chef-d’œuvre, je ne sais pas moi… que»—et il se mit à rire—«les Reines de Chartres !» Jusque-là cette horreur d’exprimer sérieusement son opinion m’avait paru quelque chose qui devait être élégant et parisien et qui s’opposait au dogmatisme provincial des sœurs de ma grand’mère ; et je soupçonnais aussi que c’était une des formes de l’esprit dans la coterie où vivait Swann et où par réaction sur le lyrisme des générations antérieures on réhabilitait à l’excès les petits faits précis, réputés vulgaires autrefois, et on proscrivait les «phrases». Mais maintenant je trouvais quelque chose de choquant dans cette attitude de Swann en face des choses. »

Marcel Proust     Du côté de chez Swann.

Qu’est que t’as fait à la guerre, Papa ? (11-Pessimisme)

Pesimisme
17 juillet

Aucune nouvelle depuis deux jours. La TSF doit être cassée car le haut-parleur installé au milieu de la cour reste muet. Dommage. Les bruits qui circulent sont plus nombreux que jamais. Rien n’est prouvé ni confirmé. Toujours anxieux.

Des femmes de camarades ont su qu’ils étaient ici et ont fait des prodiges de vélo pour venir voir leurs maris. Elles sont venues de Troyes, 170 kilomètres en deux jours. C’est superbe. Par elles, nous pensons pouvoir rentrer vers Continuer la lecture de Qu’est que t’as fait à la guerre, Papa ? (11-Pessimisme)

Qu’est que t’as fait à la guerre, Papa ? (10-Les Alsaciens sont partis)

Les Alsaciens sont partis

Mardi 16 juillet

Je suis toujours sans nouvelle des miens. Quelle angoisse !
Nous ne foutons toujours rien, pas plus Prunet que moi.
Comme tout le monde, j’espère que cette journée nous apportera du nouveau et que bientôt nous verrons des départs à grande cadence.
Seuls les cheminots sont partis. Mais les Alsaciens sont encore là malgré l’espoir qu’ils avaient de partir les premiers. Déjà beaucoup ont tourné casaque. Nous les voyons avec les allemands. Ils sont interprètes et cette fonction leur donne de l’importance…à leurs yeux.

Hier soir la femme de Grandchaudron Continuer la lecture de Qu’est que t’as fait à la guerre, Papa ? (10-Les Alsaciens sont partis)

Qu’est que t’as fait à la guerre, Papa ? (9-Qu’est-ce qu’on attend ?)

Qu’est-ce qu’on attend ?

Dimanche 14 juillet 1940

Qu’attend-on pour nous délivrer ? Nous avons l’impression d’etre abandonnés par notre gouvernement. Qu’est-ce qu’ils foutent là-bas ? Qu’est-ce qu’ils attendent pour demander notre retour ? Que nous soyons crevés ?
L’épidémie s’étend avec rapidité. Les hommes tombent comme des mouches. J’en vois à chaque instant portés sur des brancards qu’on emmène vers l’infirmerie déjà pleine à craquer.
Par mesure d’hygiène, nous devons passer les heures de la journée dehors et non plus dans les chambres.
Je suis fatigué et pas gaillard du tout. Je veux pourtant tenir. Prunet est cafardeux.

14 juillet 1939 ! Le défilé de nos forces ! C’était tout ce qu’on avait !
Les Allemands ont installé Continuer la lecture de Qu’est que t’as fait à la guerre, Papa ? (9-Qu’est-ce qu’on attend ?)

Qu’est que t’as fait à la guerre, Papa ? (8-Toujours la faim)

Toujours la faim

Mardi 12 juillet 1940

Les cheminots seront libérés aujourd’hui. Je leur donne une lettre pour ma mère qui est peut être restée à Paris malgré mes conseils.
Je crève de faim. C’est effrayant ce que la faim me hante. Est-ce la famine ailleurs en France ?
Aujourd’hui les cheminots sont partis.
Journée au camp calme. Je n’ai rien fait d’autre que lire, un vrai livre d’ailleurs, du Xavier de Montépin. C’est amusant de lire ici ce noir mélo !
J’essaie d’échanger Continuer la lecture de Qu’est que t’as fait à la guerre, Papa ? (8-Toujours la faim)