Archives mensuelles : janvier 2015

Post it n°1 – Au théâtre

À l’entracte, les spectateurs se précipitent au foyer pour boire et se dégourdir les jambes. ThéâtreLes commentaires péremptoires se donnent à voix haute, afin que chacun puisse apprécier leur pertinence. J’ai toujours trouvé curieux que, dans ces foyers, on n’entende jamais rien de vraiment négatif, du genre « ça ne vaut rien, …la mise en scène est ridicule, …le texte est convenu, …c’est digne d’un spectacle de patronage, …c’est la dernière fois que je vais au théâtre… » Mais c’est parce que je n’ai pas une voix qui porte.

Les Nouveaux Sauvages (Critique aisée 50)

Les Nouveaux Sauvages
comédie dramatique argentino-espagnole de Damián Szifron. Sélection officielle au Festival de Cannes 2014. En compétition pour l’Oscar 2015 du meilleur film étranger.

Il y avait peu de chances que je voie jamais ce film. En effet :
1) Le genre du film à sketches, bien qu’il ait été abordé par de grands réalisateurs (Renoir, Ophuls, Risi, Scola, Monicelli, de Sica, Allen, Autant-Lara, Rohmer, Jarmusch…) ne m’attire pas particulièrement (le dernier piège de ce genre dans lequel je suis tombé étant « Les Infidèles« , d’Hazanavicius).
2) Le titre, Les nouveaux sauvages, me faisait craindre une prolongation des Monstres et Nouveaux monstres.
3) Argentin de quarante ans, Szifron était pour moi totalement inconnu, de même que le cinéma argentin.
4) Et puis, il faisait beau et je n’avais pas envie d’y aller, au cinéma !
Quatre bonnes raisons pour rester chez soi ou aller faire les soldes. Oui, mais voilà ! Sous la forme du téléphonage (coup de fil en langage proustien) d’une cousine, la folle rumeur est montée jusqu’à nous et, sous le soleil,  nous avons dû descendre  la colline jusqu’au boulevard pour en avoir le cœur net.

Six sketches, six bonnes raisons pour Continuer la lecture de Les Nouveaux Sauvages (Critique aisée 50)

A most violent year (Critique aisée 49)

A most violent year
Film de J.C. Chandor
avec Oscar Isaac, Jessica Chastain.

Chandor avait réalisé en 2011 Margin call, un excellent film de fiction sur l’origine du crack financier de 2008. Film dense, intelligent, nerveux, brillant et compliqué, servi par une demi-douzaine d’acteurs de premier plan. Margin call, à voir absolument.

Avec A most violent year, il s’est attaqué à un genre très fréquenté, le film de gangster, en tournant le dos à tous les us et coutumes des blockbusters de ces dernières années. Il a choisi des acteurs sobres et presque inconnus. On y retrouve l’atmosphère dense des films en noir et blanc des années cinquante et quelques. Aldrich peut être ? C’est un plaisir. Voyez un peu:
D’après les rares images panoramiques, l’action doit se situer du côté de Hoboken Continuer la lecture de A most violent year (Critique aisée 49)

Suite africaine n°7 -L’amour qui passe

1969
Ma mission au Tchad se termine. Un peu plus d’un mois à naviguer entre Fort-Lamy, Moundou et Fort-Archambault, je trouve que c’est largement suffisant. J’y ai pourtant vécu quelques moments intéressants : la chasse au phacochère au milieu des enfants cachés par les broussailles, la prison sur la place principale de Moundou avec ses femmes et les bicyclettes enfermées en plein air derrière un triple rang de barbelés, l’hôtel de Fort-Archambault avec son ménate siffleur de Marseillaises et ses hippopotames baillant devant la terrasse au milieu des pirogues sur le Chari, les crises vespérales de paludisme de mon chef de mission, debout dans sa toute petite piscine, un verre de whisky à la main agité de tremblements continus pendant près d’une heure, l’expédition au lac Tchad en Jeep Willys avec lui et la jeune ethnologue Françoise Claustre, un an ou deux avant son enlèvement par Hissène Habré, les deux petits lionceaux qu’elle voulait passer en fraude à son retour en France, le recrutement et la formation d’une vingtaine de tchadiens pour une enquête de transport pendant un an sur l’ensemble du territoire….Pour un premier séjour en Afrique noire, tout ça a été plutôt intéressant.
Mais j’ai hâte de retrouver Paris. Pourtant, je ne vais pas rentrer directement; car j’ai téléphoné à Jean, mon oncle de Douala.

Très tôt, Jean a été pour moi une sorte de héros. Dans la famille, il bénéficiait d’une réputation mélangée et assez floue. Héros de guerre, séducteur, gestionnaire peu délicat, aventurier, généreux, colonialiste, charmeur, mystérieux, businessman, prodigue…tout pour plaire à l’enfant sage puis au raisonnable adolescent que j’étais. Je me souviens de ses retours d’Afrique avec ses arrivées tonitruantes en Facel Véga, ses cadeaux démesurés, sa bonne humeur perpétuelle et ses blagues africaines. Arrivé à Douala après quelques aventures plus ou moins mystérieuses, il avait créé une exploitation forestière du coté de Kribi, la Société Camerounaise de l’Azobé.
J’ai téléphoné à Jean et, bien sûr, il m’a invité à passer quelques jours chez lui et, naturellement, je n’ai pas résisté longtemps à son invitation.

L’avion qui effectue deux fois par semaine la liaison Fort-Lamy – Douala est un vieux bi-moteur DC3 construit pendant la seconde guerre mondiale. On l’appelle l’avion laitier, sans doute parce qu’il s’arrête partout. Le parcours d’un peu plus de 1600 km, Fort-Lamy – Maroua – Garoua – Ngaoundere – Yaoundé – Douala, lui prend toute la journée.
La première chose qui surprend quand on monte dans l’avion laitier, c’est la présence des gros quartiers de viande qui pendent du plafond de la carlingue. Il faut les écarter pour avancer vers le fond de l’appareil où se trouvent les places réservées aux passagers. La deuxième chose surprenante, c’est la forte pente de l’allée centrale qui vous fait dévaler vers votre siège. Enfin, votre siège lui-même vous surprend à son tour : il a l’air d’avoir été récupéré sur une 2cv des années cinquante.
Le moteur droit cafouille un temps, lâche un petit nuage noir, puis s’emballe en chassant vers l’arrière des panaches de fumées bleues. Le moteur gauche démarre plus facilement. Le bruit est infernal. La carlingue tremble. L’avion pivote sur place et roule vers la piste derrière un Boeing 707 d’UTA qui rentre sur Paris. Le DC3 attend son tour en vibrant. Sur un signe invisible, il reprend sa course vers le bout de la piste d’envol, accélère dans le virage et décolle lentement. Je regarde vers le bas et je reconnais la case du chef de mission avec sa Jeep et sa petite piscine carrée. La ville disparaît rapidement sous l’aile droite. Elle laisse la place à la terre ocre, parsemée d’arbustes et de petites cases, striée de sentiers en tous sens. L’ombre de l’avion traverse le fleuve : nous sommes au Cameroun. Terre ocre, arbustes, cases, sentiers…
Le vol se passe sans encombre, dans les odeurs mélangées de viande, d’essence et de gaz d’échappement. Pas de service à bord, bien sur, mais j’arrive à manger quelque chose dans l’aérogare de la capitale, Yaoundé.
À Douala, pour parvenir jusqu’à l’aérogare, le petit avion zig-zague entre les Caravelles, les DC6 et les Boeing 707 d’UTA, Air Afrique, Lufthansa…

Jean est là, à la descente de l’avion, souriant, joyeux, volubile, superbe, Jean. Il est accompagné du chef d’escale. Nous traversons les contrôles de police et de douane avec un simple petit signe de tête aux fonctionnaires. Quand nous arrivons à sa voiture, il a déjà rencontré une dizaine de connaissances, noirs ou blancs, avec lesquels il a plaisanté ou échangé quelques mots.
Il m’emmène directement aux Cocotiers, le seul hôtel de luxe de la ville. Je prendrai une douche et il viendra me rechercher pour diner « à la case » avec sa deuxième épouse, Michèle, que je connais à peine.

Michèle me vouvoie. C’est une belle femme, sophistiquée et froide. Elle s’efforce d’être aimable avec moi, de me faire parler et de me mettre en valeur, mais elle paraît mal à l’aise. Visiblement, elle n’aime pas l’Afrique et se plaint beaucoup des conditions de vie à Douala. Elle parle souvent de la belle époque, de sa belle époque, à Saint-Germain des Prés. Jean plaisante continuellement, peut être pour dissiper une certaine tension et la gêne qui s’ensuit.
Le repas terminé, Jean décide d’aller prendre un verre dans une boîte de nuit. Michèle renâcle un peu, mais finit par céder pour ne pas paraître gâcher la soirée.
Jean semble aussi connu dans la boîte que dans l’aéroport. La clientèle est mélangée, noirs et blancs, et beaucoup viennent lui dire bonjour. Michèle a les lèvres serrées.

Jean décide de rentrer de bonne heure car, dit-il, nous partirons pour Kribi aux aurores demain matin. Il n’est pas encore minuit, mais ma journée a été longue depuis Fort-Lamy, et je suis content de rentrer à l’hôtel. Au moment où je vais me coucher, on frappe à la porte.
– Qu’est-ce que c’est?
– C’est l’amour qui passe, patron!
C’est une des filles qui font les cents pas – si j’ose dire – en mobylette devant l’hôtel, qui a vu la lumière de ma chambre s’allumer et qui tente sa chance…

                                                                                (à suivre)

T’as vu la gueule de Houellebecq ? Critique aisée 48

Soumission
Michel Houellebecq, Flammarion 2015, 300 pages, 21€

 Si les événements de Charlie, Montrouge, Vincennes, et Dammartin, en espérant que la liste s’arrête là, n’avaient pas eu lieu il y a quelques jours, voilà le titre que j’aurais donné à ma critique de Soumission, le dernier Houellebecq : T’as vu la gueule de Houellebecq ?

T’as vu la gueule de Houellebecq ?
Ç’aurait été une bonne accroche, déjà répandue et bien acceptée par le bon public dès avant la sortie officielle du livre. Honnêtement, en parlant de Houellebecq ces jours-ci, je veux dire avant Charlie, combien de personnes ne vous ont pas dit : « T’as vu la gueule de Houellebecq ? » Je suis prêt à parier que pas une seule ne s’est privée de faire cette remarque, en ces termes mêmes ou selon des variantes dépendant de l’âge, du sexe, de l’éducation, du quartier, ou même du moment de la journée.

T’as vu la gueule de Houellebecq ?
C’est vrai qu’il n’est pas beau Houellebecq. Déjà au départ, jeune ou pas encore vieux, il était plutôt petit, malingre et mal coiffé. Il ne faisait rien pour ressembler à Le Clezio. Continuer la lecture de T’as vu la gueule de Houellebecq ? Critique aisée 48