Archives mensuelles : novembre 2014

Walter Mitty, c’est moi ! (1)

Critique aisée 42-1

« Madame Bovary, c’est moi!« 

Ce qu’avait voulu dire Flaubert en lançant cette petite phrase, on ne le sait pas vraiment. Voulait-il confirmer par là qu’il avait écrit tout ça tout seul : Madame Bovary, c’est moi qui l’ai écrit tout seul ! Moins prosaïque et plus littéraire: on pourrait penser qu’il voulait expliquer que la personnalité d’Emma, son attitude devant la vie, son insatisfaction, ses déceptions, étaient le résultat de ce que lui, écrivain, avait vécu. Moins littéraire et plus psychologique: certains affirment qu’avec cet aphorisme, Flaubert avait voulu révéler la femme qui était en lui. Moins psychologique et plus people: à partir de cette petite phrase, d’autres ont même été jusqu’à insinuer que Gustave était une femme.

« Madame Bovary, c’est moi !  » Qu’est-ce que Flaubert avait bien voulu dire par là ? Hé bien, rien du tout. Parce qu’aux dernières nouvelles, il n’aurait jamais dit ni écrit cette phrase ! Que de dissertations, essais, articles, thèses, notes de bas de page et autres exposés deviennent désormais bons à jeter aux orties ! Au moins, ça fera de la place pour les choses sérieuses.

Donc, Flaubert a dit « Madame Bovary, c’est moi ! «  et personne n’a rien compris. Mais quand je dis: « Walter Mitty, c’est moi!« , vous comprenez très bien ce que je veux dire. Non ? Ah, bien sûr, si vous ne savez pas qui est Walter Mitty, pour vous, tout ça manque un peu d’intérêt.

Hé bien, voilà :
Walter Mitty est un héros littéraire (c’est à dessein que j’emploie ici le mot héros) qui n’est apparu qu’une seule fois, et très brièvement, dans la littérature nord américaine, plus précisément dans une courte nouvelle de Continuer la lecture de Walter Mitty, c’est moi ! (1)

Walter Mitty : « Happy birthday, JdC ! »

Le 24 novembre prochain, dans quatre jours, le Journal des Coutheillas aura exactement un an, et depuis un an, chaque jour aura vu paraitre au moins un nouvel article.

En un an, il y a eu plus de 16.500 vues, dont plus de 2.000 hors de France, pour 420 articles et un peu plus de 550 commentaires (seulement).

Pour célébrer cet anniversaire, le JdC publiera demain sous forme de feuilleton la traduction d’une nouvelle de James Thurber « La Vie Secrète de Walter Mitty », qui n’a que peu de choses à voir avec le mauvais film récent qu’on en a tiré. Je pense qu’avec le texte, vous ne serez pas déçus.

La publication quotidienne du feuilleton « Walter Mitty, c’est moi ! » commencera demain et s’étendra sur quatre jours.

Interstellar (Critique aisée 41)

Interstellar….Interminable
La séance dure 3h45 et le film à peine moins de 3 heures..
Rien que le fait de commencer par ce détail vous indique que ma critique ne va pas être vraiment élogieuse.
Que dire de ce film à part redire qu’il dure 169 minutes ?
     -que le scénario vous largue au bout d’une heure et demie dans des explications pseudo scientifiques assommantes sur la relativité du temps  la suite de l’aventure devenant incompréhensible, bien que très attendue car très conventionnelle dans ses rebondissements ?
     -que le commandant de bord, le meilleur de la NASA, le seul capable de conduire l’engin le plus sophistiqué du monde, est un retraité reconverti dans la culture du maïs depuis des années, mais qu’il n’a rien perdu de ses qualités de pilote, ni de son accent paysan.
     -que nous sommes maintenant habitués à ces effets spéciaux qui n’ont plus grand chose d’étonnant ?
     -que y en a marre qu’il y ait toujours un happy ending invraisemblable.
     -que la seule originalité du film consiste en ses robots, qui ressemblent à des armoires électroniques des années 70.
Si vous êtes amateur d’images  de voyages dans l’espace et d’accidents spectaculaires de vaisseaux spaciaux sur fond de vide étoilé, allez revoir Gravity (2013) dont les scènes d’action étaient bien mieux réussies avec un scénario  moins confus mais tout aussi invraisemblable.
Si vous êtes amateurs de dissertations prétentieuses sur l’origine de l’homme et sur son avenir, revoyez 2001-Odyssée de l’espace (1968), à peu près aussi ennuyeux, mais avec l’avantage de l’originalité.
Si vous voulez voir des robots rigolos, revoyez Planète Interdite (1956), tout simplement le meilleur, qu’on le prenne au premier ou au deuxième degré.
Mais n’allez pas voir Interstellar. C’est interminable.
Bon, je sais que, comme plus de 1 million de personnes à ce jour, vous irez quand même .
Mais vous aurez été prévenus.

Suite africaine n°6 – Les garnements

Le Sofitel d’Abidjan est situé dans l’agréable quartier de Cocody, le Neuilly de la Côté d’Ivoire. Perché sur sa colline, il domine la lagune. L’homme en costume Prince de Galles croisé qui me fait face en est à la fin de sa cinquantaine. Je le connais depuis quelques années pour l’avoir rencontré dans deux ou trois cocktails professionnels, mais je n’avais encore jamais travaillé avec lui. Son élégance, sa diction et ses manières raffinées lui ont fait dans la profession une réputation d’homosexuel et à cette époque, c’est assez mal porté.

Ce qui nous réunit ici, c’est l’incendie qui a détruit un hangar de stockage de coton dans le port d’Abidjan. Nous sommes arrivés de Paris avant-hier, dans deux avions différents, lui l’expert de l’assuré et moi, l’expert de la compagnie d’assurance. Depuis deux jours, en levant très haut les pieds, nous errons dans les vestiges pour nous rendre compte des dommages; sans conviction et du bout des doigts, nous soulevons des morceaux de tôles calcinées pour tenter de trouver le point de départ et la cause de l’incendie; dans la chaleur humide du port, nous passons de la Capitainerie aux bureaux de la compagnie de navigation puis à ceux du courtier; dans le souffle des conditionneurs d’air, nous rencontrons des affréteurs, transitaires, acconiers et autres membres de ces professions étranges qui gravitent autour du transport. Ceci me donne à nouveau l’occasion de m’étonner de la facilité qu’il y a en Afrique à rencontrer les gens presque à l’improviste, facilité compensée par la difficulté qu’il y a à obtenir d’eux des informations.En début d’après midi, nous finissons par convenir que seule une expertise judiciaire nous permettra de rechercher efficacement les causes de ce sinistre et de trancher le nœud compliqué des relations contractuelles et des responsabilités. À partir de là, ce qui en France demanderait au moins trois semaines est organisé en moins de deux heures: l’expertise judiciaire aura lieu demain matin à 11 heures.

Le bar du Sofitel est agréable. Ayant épuisé rapidement les sujets de conversation professionnels, nous finissons notre journée et notre premier whisky en regardant la nuit tomber sur la lagune, puis nous enchaînons avec le diner. Nous parlons bouquins, cinéma, vacances. Il est plutôt Kundera-Sautet-Arcachon, alors que je suis plutôt Chandler-Scorcese-Cap-Ferret, mais tout ça est de bon aloi et n’a rien d’incompatible. Plutôt une bonne soirée.

Lorsque, vers dix heures trente le lendemain matin nous sortons du taxi, il y a déjà beaucoup de monde devant le petit immeuble de la Capitainerie: des blancs, directeur local de la compagnie de navigation, courtier en assurance, et des noirs: directeur du port et adjoints, chef de la police et adjoints, colonel des sapeurs pompiers et adjoints, quelques avocats. Si les blancs portent des tenues diverses, chemises à manches courtes ou costumes légers, les officiels sont tous en grand uniforme, blanc pour le Port, bleu foncé pour la police, bleu roi pour les pompiers et costume de ville gris foncé ou noir pour les avocats. Les badauds, en short ou en boubou, sont rassemblés sur le trottoir d’en face. A l’ombre des eucalyptus, tout ce petit monde est bien à l’image de cette Afrique mélangée, encore calme et respectueuse de la hiérarchie et de ses signes extérieurs de pouvoir.

À onze heures et dix minutes, arrive l’expert judiciaire. C’est un grand type pâle et maigre. Il doit avoir un peu plus de quarante ans. Il porte de grosses chaussures de brousse, un solide pantalon clair, une chemise à manches longues et l’un de ces gilets sans manches aux innombrables poches. Il dégage une autorité certaine et tout le monde semble le connaître. Il commence par nous réunir dans une salle de conférence qui ressemble à une salle de classe et s’installe derrière la chaire pour établir comme il se doit la liste des présents. Voir ces gros hommes en uniforme chamarré ou en costume-cravate élégant répondre docilement à l’appel de l’expert a quelque chose de gentiment réjouissant.

Après les échanges habituels sur le but de l’expertise, le rôle de chacun et le programme de la journée, selon l’expression consacrée nous nous transportons sur les lieux, c’est à dire vers le hangar détruit. Comme celui-ci n’est pas à plus de cinq cents mètres, nous nous transportons à pied et notre cortège s’étire long du haut mur couronné de tessons de verre qui enferme le Port Autonome.

Tout à coup, à quelques pas devant nous, un gros sac de jute tombe au sol avec un bruit sourd. Deux secondes plus tard, un deuxième sac, identique au premier, franchit à son tour le faîte du mur et atterrit à côté du premier. Notre troupe s’est arrêtée, interloquée. A l’endroit où nous avons vu les sacs passer par-dessus le mur, apparaissent maintenant la tête et les épaules vigoureuses d’un gaillard en appui sur ses avant-bras. Surpris par la quantité d’uniformes étincelants en train de l’observer, l’homme interrompt un instant son mouvement et nous adresse, gêné, un large sourire. Puis il achève de passer le faîte et saute à terre. Dans le seconde qui suit, on peut voir le presque jumeau du premier homme accomplir lui aussi les mêmes gestes: interruption du mouvement, hésitation, grand sourire et enfin saut au sol. Chacun des deux larrons, une fois à terre, ramasse son sac, le jette sur l’épaule et s’éloigne dans une hâte à demi feinte et dans une longue foulée désarticulée. De temps en temps, l’un d’eux se retourne et renouvelle le grand sourire de tout à l’heure. Alors, dans son bel uniforme bleu, le chef de la police penche la tête de côté, ferme un œil et agite obliquement son index pointé vers les deux fuyards en leur adressant un sourire mi-crispé, mi complice. Puis il se tourne vers notre groupe et s’adresse à la cantonade:

     -Excusez-les! Ce ne sont que des garnements!

Les garnements disparaissent au coin d’une impasse.

La scène n’a pas duré quinze secondes. Nous reprenons notre procession solennelle vers les lieux du crime.