Archives mensuelles : juin 2014

Black Coal (Critique aisée 25)

Black coal ( de Diao Yi’nan)
Ours d’Or du Festival de Berlin.
Hier après-midi, en sortant de Black Coal, j’ai soudain regretté l’absence d’Eric Neuhoff à la dernière réunion des Masques et des Plumes qui m’avait envoyé séance de cinéma tenante voir cette incarnation du renouveau chinois du film noir. On avait cité Chandler, Hammet, Le Grand Sommeil, alors vous pensez!
Éric aurait certainement apporté un peu de raison à ce dithyrambe unanime.
De ce film à l’intrigue incompréhensible, aux dialogues languissants, et aux acteurs engourdis, je ne sauverai que quelques images, ( effectivement, comme l’a dit l’un des Masques, il y a à un moment un mur jaune du plus bel effet) ainsi que la seule surprise réussie du film, celle du feu d’artifice final.
Dans son intervention par ailleurs pleine de louanges, Alain Riou, membre sympathique et plein d’humour de ce club, a regretté que les distributeurs aient adopté pour ce film un titre anglais qui signifie « Charbon Froid ». Modestement, je voudrais lui rappeler que Black Coal ne signifie pas Charbon Froid mais Charbon Noir.
Encore que Charbon Froid eut été assez adapté à l’impression que m’a laissée ce film.

L’Enéïde Critique aisée 23

À Hubert

Cet énorme poème peut être tout aussi connu que l’Odyssée, mais il est certainement moins lu. (En matière de littérature, la renommée et la quantité de lecteurs sont deux choses très différentes) Quand j’ai lu l’Iliade puis l’Odyssée un peu avant trente ans, ce fut un grand choc et un grand plaisir, renouvelé depuis à différents âges.
Aborder Virgile me faisait peur, probablement à cause du qualificatif de poète qui s’attache à lui, et ce n’est que quarante ans après l’Iliade que, grâce à un ami, Hubert, j’ai ouvert l’Enéide. Nouveau choc, nouveau plaisir, à renouveler. L’Enéide est un magnifique et violent roman d’aventures, un tragique roman d’amour, un conte où se mêlent histoire antique et mythologie. Passionnant.
Evidemment, il faut se faire au style. On n’est pas chez Marc Lévy ou Guillaume Musso. A titre d’exemple, voici un court extrait du Chant VI dans lequel Enée, vivant, et son père, mort, se rencontrent aux Enfers.

Enée échappe à la mort et au sac de Troie en fuyant la ville en flammes. Il finira par s’installer dans le Latium, non loin de la future Rome, après sept années d’aventures en Méditerranée. Le père d’Enée, Anchise, meurt en Sicile au cours du voyage. Quelques temps plus tard, Enée doit descendre aux enfers. Son père l’aperçoit :

Dès qu’il vit Enée marchant à lui à travers les herbes, joyeux, il tendit les deux mains, des larmes se répandirent sur ses joues, ceci sortit de sa bouche: 
 » Tu es enfin venu et, comme l’attendait ton père, ta piété a triomphé de l’autre route. Il m’est donné de voir ton visage, mon fils, d’entendre de toi, de t’adresser nos paroles familières. Oui, je pensais dans mon cœur, je comptais qu’il en serait ainsi; je calculais les jours et mon désir ne m’a point trompé.
Que de terre et quelles mers parcourues avant que je te retrouve. Que de périls mon fils, pour t’éprouver ! Comme j’ai eu peur que les royaumes de Lybie ne te fissent du mal ! »

Et lui: « Père, c’est ton image, oui ton image affligée, paraissant si souvent devant moi, qui m’a fait tendre vers ce seuil ; les vaisseaux sont à l’ancre dans les eaux tyrrhéniennes. Permets-moi de prendre ta main…… »

Ça change, non ? Et ça, c’est pas beau, ça ?

Les Gaulois étaient là, dans les broussailles, maîtres de la citadelle, protégés par les ténèbres, cadeau de la nuit opaque.
Leurs cheveux ont la couleur de l’or ; leurs vêtements dorés aussi.
Eclatants dans leurs sayons rayés, ils entourent d’or leur cou blanc comme le lait ; chacun a en main comme un éclair deux javelots alpins et se couvre de son long bouclier.

Quand on aborde l’Enéide, on est d’abord surpris par le style. Il arrive même qu’on en soit rebuté. Mais si on persiste un peu dans la lecture, on est rapidement saisi par les apostrophes héroïques, les descriptions épiques, la langue magnifique.
Aborder Homère fait ressentir à peu près les mêmes symptômes.

Le Monumenta des Kabakov – Critique aisée 23

Cette année, tout un tas de gens qualifiés ont confié le Grand-Palais à Ilya et Emilia Kabakov pour y réaliser le Monumenta 2014. Parmi ces deux artistes russes, je ne sais pas qui fait quoi, mais ce qu’ils font est honorable: une étude sur la lumière qui fait penser inévitablement aux Cathédrales de Rouen de Monet, des schémas, des dessins, des maquettes d’un « centre d’énergie cosmique » qui rappelle très fortement les décors de Edgar P. Jacobs pour Les aventures de Blake et Mortimer, encore des maquettes et des dessins à la Folon de méthodes pour rencontrer les anges. Tout cela n’est pas extraordinaire mais honorable.
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Je mettrai pourtant à part le « Musée Vide », très prévisible « Galerie sans tableaux » où les œuvres sont remplacées par des tâches de lumière sur les murs. Ce genre de paradoxe-provocation constitue pour moi le comble -ou l’un des combles car ils sont nombreux ces temps-ci – du conventionnel, à moins que ce ne soit celui du canular, à l’instar de Klein repeignant totalement une galerie en blanc pour n’y exposer rien du tout (pour une fois qu’il ne faisait pas du bleu !) J’ai toujours espéré qu’il s’agissait d’un canular, tout en étant persuadé d’avoir tort.

Honorable donc, passable, intéressant parfois. Mais pourquoi ai-je gardé cette impression que tout cela était daté des années cinquante, avec en plus un fort parfum soviétique ?

Mais là n’est pas la question. La question est que, sans être petites, les œuvres présentées sont de taille modeste. Par ailleurs, elles demandent à être vues sous de faibles éclairages avec, de préférence, jeux d’ombre et de lumière. Pour les abriter, les artistes ont donc conçu des sortes de blocs en staff blanc, qu’ils ont disposés avec ordre dans l’espace offert, et qu’ils ont appelé pompeusement « Étrange Cité ». (Soit dit en passant, il y règne une chaleur d’enfer, mais il faut bien souffrir pour être cultivé).

Mais alors, dites-moi, pourquoi avoir choisi de telles œuvres pour les exposer dans cet immense, magnifique et lumineux espace qu’est le Grand-Palais?
Buren, au moins, avait su utiliser toute la surface offerte avec ses disques de plastique multicolore. Ajoutant une dimension, Anish Kapoor, l’inimitable, avait réussi, lui, à occuper le volume du Grand Palais avec sa magnifique poupée gonflable.

Ilya et Emilia, eux, n’ont fait qu’utiliser la fonction abri de la grande verrière pour y placer des stands d’exposition dans lesquels on trouvera leurs œuvres honorables (voir plus haut).
Étrange Cité, assurément. Étrange conception qui ne tient aucun compte du lieu. Étrange choix d’artistes dont les œuvres n’ont rien de Monumenta..L.