Archives mensuelles : mai 2014

Les oiseaux sont des cons -1-

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Chaval était un dessinateur humoristique. En 1964, il a réalisé un film de 3 minutes 35 secondes intitulé LES OISEAUX SONT DES CONS. Le commentaire qui accompagne la projection de dessins d’oiseaux commence ainsi:
« Les oiseaux sont des cons. Qu’ils sont cons les oiseaux! Qu’ils sont cons, les pauvres petits! Aussi cons que les hommes disent certains. D’autres affirment qu’ils le sont davantage. Mon Dieu qu’ils sont cons les oiseaux! Qu’ils sont donc cons! Ah, ces cons d’oiseaux…. »
Mais regardez plutôt le film en cliquant sur ce lien ->  les oiseaux sont des cons
On ne peut que s’incliner devant une affirmation aussi génialement évidente qui, eut-elle été moins grossière, eut eu toute sa place entre l’éléphant irréfutable et le loup aux grandes dents  d’Alexandre Vialatte.
Chaval ayant disparu prématurément, j’ai souhaité poursuivre son oeuvre en toute modestie (tu parles). Les prochains articles de cette rubrique déclineront donc sous forme de photos avec légende cette vérité première selon laquelle « Les oiseaux sont des cons »

 

J’ai dix ans (Chap.2)

2-Exil

Me voilà donc embarqué dans la 203 noire à double carburateur qui fonce vers la Normandie par la route de Quarante Sous. Papa est au volant. Il fume silencieusement et de manière continue. A côté de lui, Maman essaie de maintenir la bonne humeur dans la voiture. Enfoncé au plus profond de la banquette arrière, je ne réponds à ses tentatives de conversation que par des grognements. J’ai bien l’intention de ne pas descendre de cette voiture.

Cette promesse que je me suis faite,  je suis bien incapable de la tenir une fois arrivé. Accueillis de façon joyeuse un peu forcée par les Levallois, mes parents répondent sur le même ton en jetant des coups d’œil de mon côté pour voir si j’accroche à l’enthousiasme général. Au bout d’un temps assez bref, la gêne s’installe devant mon silence renfrogné et il est décidé de visiter la maison.
Les Levallois habitent la première maison de Touffreville sur la gauche, en surplomb de la route qui va de Lisors à Ménesqueville. Au ras de la chaussée, il y a un tout petit magasin dont la vitrine expose dans la poussière un lavabo, deux ou trois robinets, quelques tuyaux, raccords et colliers de serrage. Une enseigne émaillée Butagaz pend au-dessus de la porte. Comme il y a très peu d’espace entre la façade et la route, la fourgonnette  est toujours garée collée contre le magasin, de telle sorte qu’il est impossible d’en ouvrir la porte ou même d’apercevoir le contenu de la vitrine. Ça ne semble pas préoccuper Monsieur Levallois, car aucun client ne vient jamais au magasin. Un escalier raide, creusé à flanc de talus, conduit jusqu’à la partie haute du terrain. La maison est à gauche et le jardin qui fait face à la maison ne comporte qu’une seule platebande de géraniums. Le reste de la surface est occupé par un grand potager, dont le gravier de l’allée centrale est soigneusement ratissé, et un poulailler entouré et recouvert d’un grillage maillé. Contrairement au reste du jardin, le poulailler donne une impression de désordre et de saleté. Le sol de terre battue, de marron clair à marron foncé, est luisant comme s’il avait été verni, et les perchoirs sont de travers ou cassés et couverts de crottes de poule. Il n’y a pas de clapier pour lapins. Tout en haut du terrain, passe la voie ferrée étroite empruntée deux fois par jour par le petit train laitier.
La maison n’est pas grande. Un escalier d’une demie volée mène à une terrasse à peine plus large que notre balcon du boulevard de Port Royal. Elle court le long de la façade et se retourne sur l’un des côtés. On entre par un couloir éclairé grâce au verre cathédrale jaune de la porte. Il y a un porte-manteau à miroirs biseautés à gauche et un escalier ciré au fond. La grande cuisine est à droite, la salle à manger à gauche avec la chambre en enfilade. De ces trois pièces, seule la cuisine possède une porte-fenêtre donnant sur la terrasse. En dessous, en demi-sous-sol, la cave et un atelier. A l’étage,  deux chambres, dont la plus petite va être la mienne pour deux longues semaines.

Au cours de la visite, au milieu des exclamations de joie et d’admiration devant telle disposition si ingénieuse ou telle décoration à l’effet si ravissant, j’ai deviné la teneur de ces conciliabules à demi-mots par lesquels les adultes croient qu’ils abusent les enfants inquiets des manœuvres qu’ils voient se dessiner contre leur volonté. Soudain, mes parents réalisent  combien il est tard et combien il est urgent de partir sans plus attendre s’ils veulent pouvoir remplir cette obligation impérative mais imprécise qui leur est imposée.

Ils sont partis dans un seul mouvement, comme aspirés par la voiture. Il est quatre heures. La nuit est encore loin. La fin de l’après-midi va être  interminable, aucun de nous trois ne sachant comment se comporter avec l’autre. Monsieur Levallois choisit la fuite et va bricoler dans son atelier. On entend bientôt les longues plaintes suraigües de la meuleuse. Madeleine décide de me présenter aux poules et nous entrons dans le poulailler en poussant la porte grillagée qui se rabat et rebondit contre son cadre sous l’effet d’un ressort. Bien que je trouve  ces bestioles bruyantes, disgracieuses et stupides, je fais un effort pour les approcher. A les voir s’enfuir devant moi en  criant, on peut penser qu’elles en ont tout autant à mon service.

(à suivre)

Publication du Chapitre 3 : le 24 mai

Voir aussi « J’ai dix ans » texte intégral

J’ai dix ans (Chap.1)

1-Grandes vacances
Comme Souchon, je sais que c’est pas vrai, mais j’ai dix ans. Peut-être onze. Les grandes vacances sont commencées depuis déjà longtemps mais la rentrée, fixée au 2 octobre, est encore à perte de vue. Ça me permet d’effacer facilement la vague angoisse du passage en sixième dont on m’a dressé un tableau terrifiant.
Les premiers jours de Juillet ont été merveilleux. Je suis resté à Paris. Il a fait beau et chaud, j’ai fait du patin à roulettes sur le boulevard, j’ai fait naviguer des voiliers sur le bassin du Luxembourg, je me suis baigné dans la fontaine Carpeaux, je suis allé deux fois chez mon ami René-Jean où nous avons mis le feu à un petit bois le long de la voie ferrée, fumé des baguettes de sureau et lancé des pétards sur la bande d’Andrésy-le-Bas, je suis allé une fois au guignol, deux fois au cinéma ( Le Corsaire Rouge! La Guerre des Mondes !) et j’ai vu le feu d’artifice du 14 juillet dans le jardin des Tuileries. C’était chouette.

Après, c’était moins bien, mais pas mal quand même. Un mois à Saint-Brévin-l’Océan. Hôtel des Tamaris, construction d’avant-guerre en bord de plage, ses chambres avec balcon et vue sur mer ou sans balcon et vue sur jardin, sa terrasse à balustrades en ciment blanc imitation bois et sa salle à manger panoramique d’où, tous les soirs, nous guetterons le rayon vert et les marsouins. Nous sommes arrivés là par le train en deuxième classe, ce qui permet de regarder de haut les passagers de la troisième classe, puis en autocar Chausson. Je partage une chambre sur mer avec Maman. Ma soeur et notre cousine sont dans une chambre sur jardin à un autre étage. Je crois  que ça arrange ces deux grandes filles qui vivent à mille lieues de moi. Papa n’est pas là, il ne vient jamais en vacances avec nous. On me dit qu’il viendra peut-être passer deux ou trois  jours. Quand? Bientôt.
Parasol bleu, ballon rouge, seau et pelle jaunes, casquette assortie jaune-rouge-bleu, sac de billes, coureurs cyclistes de plomb, j’ai tout l’équipement. Mais la plage, tous les jours, c’est un peu ennuyeux. Club des Marsouins, jeu de la chandelle, gymnastique suédoise, leçon de natation…Heureusement, il y aura le concours de châteaux de sable du Figaro, le passage du Tour de France et la promenade aux îles.

Nous rentrons à la maison juste après le 15 août et je me vois déjà avec plaisir reprendre mes activités parisiennes jusqu’à la rentrée. Mais une mauvaise surprise m’y attend. Mes parents ont décidé de me confier pour une quinzaine de jours aux Levallois. Désespoir.

Les Levallois vivent à Touffreville, un tout petit village en bordure de la forêt de Lyons. (C’est là que mes parents louent à l’Etat une maison forestière, jolie mais rudimentaire – il n’y a pas d’eau courante. )  Elle, c’est Madeleine. Maman l’emploie comme femme de ménage. Elle arrive à la maison en mobylette ou avec sa fourgonnette 2CV quand elle apporte les bidons d’eau potable. Elle m´impressionne car, contrairement à notre bonne de Paris, respectueuse et stupide, elle parle haut, d’égale à égale avec Maman qui semble même un peu intimidée par cette femme énergique qui dirige son colosse de mari comme elle l’entend.
Monsieur Levallois, dont j’ai toujours ignoré le prénom, est très grand, un peu gros et très fort. Il est aussi un peu plombier et gère un petit dépôt de gaz butane. On le voit souvent charger sans effort les grosses bouteilles bleues dans la 2CV qui plie sous le poids. Il parle peu. Il fait du bruit en respirant par le nez.

Je n’ai pas du tout envie de perdre une partie de mes vacances avec ce couple sans chien, sans enfant, ni citadin ni paysan, si différent. Mes protestations se heurtent aux descriptions enthousiastes que l’on me fait du bon air et de la vie simple et campagnarde au milieu des poules et des lapins
– Et des bouteilles de butane ! ajoute ironiquement mon père qui croit que je ne l’entends pas.
(à suivre)

Publication du chapitre 2: lundi 19 mai

Viola, Auguste et Mapplethorpe au Grand Palais – Critique aisée 20

Bill Viola

C’est il y a une quinzaine d’années que j’ai vu pour la première fois les œuvres de Bill Viola. C’était au Musée d’Art Moderne de San Francisco. Je me souviens qu’au premier étage, on pouvait voir une exposition de splendides photographies du début du vingtième siècle de paysages du Nord-Ouest des Etats Unis ou du Canada, je ne sais plus. C’était magnifique.
Au deuxième étage, régnait une exposition itinérante de Bill Viola. Dans quelques salles toutes blanches ou toutes noires selon le cas, on pouvait voir plusieurs bidons de deux cents litres, pleins d’eau, au fond desquels un tube cathodique passait le film extrêmement statique du visage d’un homme, ou d’une femme, ou même d’un enfant (pourquoi pas ?), en général en train de dormir. On pouvait voir aussi, projeté sur grand écran, un film d’une dizaine de minutes passé en boucle montrant un homme debout, immobile, devant un bassin rectangulaire. L’aspect peu sympathique de l’eau du bassin expliquait sans doute l’hésitation de l’homme à s’y précipiter. Pourtant, au bout d’une dizaine de minutes, prenant un léger appel, l’homme se décidait à faire ce qu’on appelle une bombe dans le bassin. Pour compléter la frustration du spectateur, l’image se figeait juste avant le contact du corps en boule avec l’eau sale, le privant ainsi du spectacle des éclaboussures. Passionnant !
J’ai eu la chance de revoir une œuvre majeure de Viola à l’église Ste Eustache de Paris, où le Maitre nous a présenté en 2000 un film vidéo inspiré de la Visitation, scène dans laquelle Marie, enceinte du Christ, reçoit la visite d’Elizabeth, sa cousine. Images presque floues, quasi statiques d’une scène que, compte tenu du sujet, on ne saurait qualifier d’endiablée. Passionnant !
Eh bien, à nouveau, voilà Viola. Certes, la technique a fait des progrès. Les écrans sont immenses et les images superbes. Il y a du son. On sent qu’à présent il y a des moyens. Ce pourrait être une très belle exposition de photographies. Mais ce n’est pas. Le problème, c’est qu’elles bougent ces photos, très lentement certes, mais elles bougent. Même montées en boucle et interminables, elles ont un début et une fin. On n’a donc plus grand chose à imaginer. Et ça gâche tout.
Le vrai problème de Viola, c’est la vidéo.

Moi Auguste, empereur de Rome
Le titre de cette exposition amène tout d’abord à se demander si notre président avait connaissance du testament d’Auguste quand il a rédigé sa regrettable anaphore, ou si le titre de l’exposition a été choisi en hommage obséquieux à cette même litanie.
Mise à part cette question qui taraude et trouble l’esprit du visiteur pendant toute sa visite, l’exposition, sans être sensationnelle, n’est pas désagréable. On y voit quelques bustes, statues, fragments de fresques et de mosaïques, bijoux, armes, chaises curules, urnes funéraires, enfin tout le toutim habituel, garanti d’époque. La lecture des extraits du testament d’Auguste (index rerum a se gestarum) est (sérieusement) passionnante. L’ensemble est surtout didactique. Mais vous pouvez aller voir.
Un regret cependant : les liens familiaux très compliqués qui existaient entre les différents acteurs de cette sublime époque n’apparaissent pas du tout clairement sur les panneaux dédiés à ce sujet. Pour en savoir plus, revoyez donc les deux saisons de la série anglaise « ROME ».

Robert Mapplethorpe
Il était photographe, new yorkais, homosexuel, mort à 43 ans du SIDA en 1989.
Il a photographié des corps nus d’hommes, de femmes, des portraits, des fleurs, des sexes.
Ses photos de nus, les plus nombreuses, sont extraordinaires. Ses photos de fleurs, équivoques. Ses portraits, intéressants. Je ne vous dirai rien ici des sexes. Pour pouvoir en juger par vous-même, il vous faudra entrer dans une sorte de cabinet noir au milieu de l’exposition pour les voir. Comme d’une sex-shop, vous en sortirez le rouge au front.