Archives de catégorie : Citations & Morceaux choisis

Franz Bauer, Bertram Fitzwarren et moi

Le diner s’était prolongé fort tard dans la nuit. D’abondantes volutes de fumées bleues et grises flottaient sous les poutres du plafond de l’auberge en enveloppant la roue de charrette qui, avec ses pauvres ampoules électriques, faisait office de lustre au-dessus de nos têtes. Depuis quelques instants, sans doute sous l’effet des mets et des vins que nous avions absorbés en quantité, nous étions tombés dans un silence méditatif qui contrastait avec la gaité et la vivacité des conversations que nous avions échangées jusque-là.
Franz Bauer, Bertram Fitzwarren et moi nous étions rencontrés pour la première fois quelques heures auparavant dans les bureaux de la Compagnie Maritime des Indes Orientales dont le Princesse des Mers devait appareiller dans la nuit pour Sidney via Singapour et Macassar.
Pour des raisons et des destinations différentes, chacun d’entre nous avait retenu une cabine sur le Princesse des Mers et nous avions lié connaissance en accomplissant les formalités d’embarquement. Compte tenu de la Continuer la lecture de Franz Bauer, Bertram Fitzwarren et moi

Les disparus de la rue de Rennes (septième extrait)

Résumé des chapitres précédents

Une quarantaine de numéros de la rue de Rennes manquent toujours à l’appel, et l’on ne sait toujours pas pourquoi. Mais que fait la police ? La Mairie, elle, a choisi habilement de ne rien faire, pensant ainsi que l’affaire mourrait de sa belle mort. C’était sans compter sur Cottard, Ceconde de son prénom, qui a tout balancé à l’OBS qui, par habileté politique, a refilé le tuyau à Marianne, le magazine, pas la République.

7- La stagiaire

Où l’on appréciera les avantages et les inconvénients du stagiaire dans la presse de gauche.

Quand Renaud eut parcouru le rapport Ratinet, il jugea que dans cette affaire, il n’y avait que des coups à prendre. De plus, il la trouva un peu trop technique pour lui et, de toute façon, il était déjà assez occupé comme ça avec son article sur la collection de chaussures de luxe du député de la troisième circonscription de Savoie Atlantique. Il décida donc de confier le débroussaillage des disparitions de la rue de Rennes à la jeune Éméchant, une stagiaire qu’on venait de lui flanquer dans les pattes.
D’une manière générale dans la presse, les stagiaires, c’est la plaie. Il faut tout le temps Continuer la lecture de Les disparus de la rue de Rennes (septième extrait)

Bricoles sans suite et non démoralisantes

On m’a dit que récemment, mes textes étaient plutôt démoralisants.
Démoralisants ? Parce que, le moral, vous l’aviez, vous ?
Ah bon ?
Alors voici quelques bricoles non démoralisantes.

Deux films en deux jours

En deux jours, je viens de revoir deux films, un vieux et un récent, deux comédies pleines de charme, réalisées à 70 ans de distance, par deux des plus grands réalisateurs américains, sur des scénarios écrits par deux artistes juifs ostracisés l’un par McCarthy et l’autre par #Metoo, avec deux comédiennes adorables et deux jeunes premiers de leur temps, tournés en décors naturels dans les deux villes qui, en dehors de Paris, sont mes préférées, Rome et New York.

Vous avez deviné sans doute : ces deux films sont Vacances Romaines et Un jour de pluie à New York, l’un réalisé par William Wyler sur un scénario de Dalton Trumbo, l’autre par Woody Allen sur son propre scénario, l’un avec Audrey Hepburn et Gregory Peck, l’autre avec Elle Fanning et Timothée Chalamet, l’un à Rome dans le Centro Storico, l’autre à Manhattan dans le Village et Upper East Side. Les deux films sont des Continuer la lecture de Bricoles sans suite et non démoralisantes

Les disparus de la rue de Rennes (sixième extrait)

Résumé des chapitres précédents

Une partie non négligeable de la rue de Rennes étant portée disparue, pour éviter le scandale et ne pas risquer de perdre la face devant ses électeurs, Madame Hidalgo a choisi la seule solution politiquement efficace : ne rien faire.

6- La vengeance de Cottard

Où l’on pourra vérifier que la vengeance est un plat qui se mange enveloppé dans du papier journal.

Oui, mais voilà ! Madame La Maire avait compté sans la rancune de Cottard. Il en avait gros sur le cœur, le Cottard. Non seulement il avait réalisé que lorsque ses collègues prononçaient son patronyme en dehors de sa présence, ils le faisaient toujours précéder de « ce con de », mais encore, la façon dont il avait été mis à l’écart de l’affaire de la rue de Rennes l’avait mortifié. Il avait donc décidé de se venger et c’est pour cela qu’il avait déposé Continuer la lecture de Les disparus de la rue de Rennes (sixième extrait)

Les disparus de la rue de Rennes (cinquième extrait)

Résumé des chapitres précédents

Devant la disparition inexpliquée de toute une section de rue de Paris, Madame la Maire se demande à qui elle pourrait bien faire porter le chapeau.

5- Si j’aurais su, j’aurais pas venu

Où l’on verra un ex-député de la Corrèze, mais pas celui qu’on pourrait croire, inspirer Anne Hidalgo.

Pourtant, plus elle réfléchissait, plus elle se rendait compte que taire cette affaire était devenu impossible. Trop de monde était désormais au courant : les fonctionnaires de la Mairie parmi lesquels il pouvait toujours rester quelques supporters de l’opposition, les personnes dont les témoignages figuraient dans le rapport de Ratinet, les badauds qui avaient assisté à la stupide visite d’aujourd’hui et parmi lesquels il y aurait bien au moins un journaliste, ou un ami de journaliste, ou un informateur de journaliste, enfin quelqu’un qui parlerait à un journaliste !

De plus en plus consciente de l’impossibilité d’étouffer l’affaire, consciente également de la grande difficulté qu’il y aurait à la faire endosser par l’opposition, Madame la Maire arriva dans son bureau dans un état de nerfs extrême. Après avoir fracassé le portrait officiel du Président de la République contre un radiateur, elle convoqua Hubert Lubherlu à qui elle Continuer la lecture de Les disparus de la rue de Rennes (cinquième extrait)

Les disparus de la rue de Rennes (quatrième extrait)

Extrait (gratuit) du chapitre 4

Résumé des chapitres précédents

Après un vote unanime, moins les voix de l’opposition, le Conseil Municipal, Maire en tête, s’est rendu sur place et sous la pluie pour constater les faits de visu. C’est confirmé, il manque tout un bout de la rue de Rennes. C’est bien embêtant.

4- Stratégie municipale

Où l’écologie retrouvera ses limites et la politique, ses habitudes.

Ces choses ayant été accomplies, la Maire se retira dans le véhicule à gyrophare, parce que l’écologie, ça va bien cinq minutes, tandis que son garde du corps restait planté au milieu de la chaussée, triplement embarrassé par un parapluie de golf marqué aux armes de la ville, un vélo batave et un costume sombre complètement fichu.

Sur le chemin du retour, dans le confort de sa voiture de fonction et de son for intérieur, Madame la Maire réfléchissait : cette disparition n’était pas une petite affaire et il fallait la prendre très au sérieux : deux ou trois cents mètres de rue manquants, ça faisait quand même désordre, même pour une municipalité de gauche. Il lui fallait établir une stratégie de toute urgence.

Était-il possible de mettre l’affaire sur le dos de quelqu’un d’autre ? Elle pourrait bien sûr parler d’héritage de la mandature précédente, mais ça faisait quand même plus de huit années qu’elle exerçait le pouvoir absolu sur la ville. De plus, dans ce cas, on ne manquerait pas de lui rappeler que, dans l’équipe précédente, elle était première adjointe. Remonter plus loin en arrière, c’est-à-dire à Tiberi ou même jusqu’à Chirac, lui paraissait difficile. Elle demanderait conseil sur ce point à Laurent Joffrin et à Edwy Plenel dès demain, mais elle ne Continuer la lecture de Les disparus de la rue de Rennes (quatrième extrait)

Les disparus de la rue de Rennes (troisième extrait)

Extrait du chapitre 3 

Résumé des chapitres précédents

Une quarantaine d’immeubles de la rue de Rennes (75006) semble avoir disparu sans que l’on ne sache ni quand, ni pourquoi, ni comment. Le rapport que Roger Ratinet a établi ne satisfait pas, mais alors pas du tout, Anne Hidalgo, Maire de Paris.

3- Les parapluies de Saint-Germain

(…)  Dans un premier mouvement qu’elle ne devait pas tarder à regretter, Madame la Maire convoqua pour la fin du mois une réunion extraordinaire du Conseil Municipal. Celui-ci mit aux votes une motion selon laquelle il se transporterait sans tarder sur les lieux du drame. La motion fut votée triomphalement à l’unanimité, moins les voix de l’opposition bien entendu.

Le jour où les édiles devaient se rendre sur place, il pleuvait. La veille, on avait Continuer la lecture de Les disparus de la rue de Rennes (troisième extrait)

Les disparus de la rue de Rennes (2ème extrait)

Résumé des chapitres précédents

Roger Ratinet, employé à la Mairie de Paris, vient de constater la disparition d’une bonne quarantaine de numéros d’immeubles dans la rue de Rennes. On lui a demandé d’établir en toute hâte un rapport sur cette disparition pour le moins étrange.

Chapitre 2- La charge de la preuve

Où l’on découvrira que prouver un manque n’est pas chose facile et qu’éprouver un manque, non plus.

 C’est donc le 17 février 2023 vers 10 h 30 que notre préposé à la vérification des plaques de rue se rendit en toute hâte sur les lieux, muni de son appareil nippon tout neuf et de son certificat tout frais d’aptitude à la prise de vue numérique.

En arrivant en vue de l’église Saint-Germain des Prés, vint à l’esprit curieux de Ratinet la question suivante : « Comment fait-on pour photographier une rue qui a disparu ? ». Son esprit cartésien résista un temps à passer du particulier au général, mais il fallait bien qu’il cédât. Il céda et passa à « Comment fait-on pour photographier quelque chose qui n’est pas là ? », puis, plus général encore, à « Comment prouve-t-on l’absence d’une chose ? » et enfin à son inévitable universalisation : « Comment prouve-t-on qu’une chose n’existe pas ? ». La tête commençait à lui tourner Continuer la lecture de Les disparus de la rue de Rennes (2ème extrait)

Les disparus de la rue de Rennes (extrait)

Chapitre 1 – Une mécanique bien huilée

Où l’on constatera qu’à l’instar du temps judiciaire, le temps municipal n’est pas celui de tout le monde et qu’en réalité, il y a moins d’urgence que de gens pressés.

C’est le 27 juin 2022 à 11 h 45, alors qu’il procédait à une opération de contrôle de routine, que Roger Ratinet[1], technicien de la Mairie de Paris préposé à la vérification de la conformité des plaques de rue à la parité homme/femme, découvrit que les quarante premiers numéros de la rue de Rennes avaient disparu. Choqué, il rentra chez lui et prit le reste de la journée pour se remettre.

Le lendemain, de retour à son bureau, il entreprit de rédiger le rapport d’anomalie circonstancié que méritait un tel événement. Quel ne fut pas son embarras quand il constata qu’il n’existait aucun formulaire adapté à ce qu’il avait à rapporter. Il y avait bien le formulaire spécial pour signaler la Continuer la lecture de Les disparus de la rue de Rennes (extrait)

Pagnol, Raimu et la Western Electric

Rediffusion du 30/06/2016

En 1929, Marcel Pagnol écrit sa quatrième pièce de théâtre, Marius. C’est un très gros succès. Le rôle de César est tenu, bien entendu, par Raimu.
La même année, Pagnol rencontre Bob Kane, patron de la succursale française de la Paramount, et devient son ami. Il découvre le cinéma parlant et décide de devenir réalisateur. Devant le succès de Marius qui est joué depuis deux ans, Bob Kane veut tourner un film d’après la pièce, mais avec de « vrais » acteurs de cinéma. Pagnol le convainc de garder la troupe de théâtre. C’est Alexandre Korda, réalisateur autrichien de talent, qui met le film en scène.
Dans « Cinématurgie de Paris », Pagnol raconte cette scène (que je vous conseille de lire avec l’accent) :

Le premier jour, un soundman fit son apparition sur le plateau : il sortait de la villa du Mystère, où tournaient en silence les dérouleurs de la Western Electric. Il vint vers moi, et me dit d’un ton décisif :

– Il est impossible d’enregistrer la voix de Raimu.

– Pourtant, dis-je, il a déjà fait plus de cent disques de phonographe, et un film Le Blanc et le Noir.

– Sa voix n’est pas phonogénique, reprit le sorcier. Nous avons ici les meilleurs appareils du monde : et pourtant, je n’arrive pas à un bon résultat.

– Qu’est-ce que ça ? dit Korda, de loin.

– Ce monsieur affirme qu’il ne peut pas enregistrer la voix de Raimu.

– C’est bien dommage pour lui, dit Korda. Parce qu’on ne peut pas remplacer Jules. Mais lui, on peut. Continuer la lecture de Pagnol, Raimu et la Western Electric