Tous les articles par Philippe

Go West ! (36)

(…) A droite, très reconnaissable, une Rolls-Royce, gris clair, énorme, décapotée. Sa plaque de Californie, noir sur fond blanc est bien visible : L-A-W-F-R-D. Aux USA, il est courant que les gens choisissent l’immatriculation de leur voiture en fonction de leur nom, de leur métier ou de leur hobby. Alors je cherche… LAWFRD, LAWFRD… ça doit vouloir dire quelque chose… ça veut surement dire quelque chose…et d’un coup, ça y est, j’ai compris : LAWFRD c’est pour LAWFORD et la Rolls, c’est la voiture du type en bermuda, et ce type, c’est Peter Lawford, le copain de Sinatra, le beau-frère de Kennedy… Incroyable ! Je viens de voir Peter Lawford !

Après tout, je suis à Los Angeles, tout près d’Hollywood et de Beverley Hills. Rencontrer un acteur de cinéma n’a rien d’exceptionnel. Mais quand même, qu’est-ce qu’il peut bien se passer dans cette maison ? J’ai entendu le mot suicide. Un suicide, ce n’est pas rien. On a dû appeler Clemmons pour faire les premières constatations, mais qu’est-ce que vient faire Lawford là-dedans ?  Et combien de temps Clemmons va-t-il me laisser seul dans sa voiture ? J’ai mon sac à côté de moi avec, dedans, mon foutu P .38. La voiture n’est pas fermée à clé. C’est peut-être le moment de ficher le camp. Je ne crois pas que le flic ait noté mon identité sur son carnet. Si je fichais le camp maintenant, il se souviendrait sûrement de ma nationalité, mais peut-être pas de mon nom. Le problème, c’est qu’il ne m’a pas rendu mon portefeuille. Je crois qu’il l’a posé Continuer la lecture de Go West ! (36)

LES DISPARUS DE LA RUE DE RENNES (Extrait)

Madame Hidalgo est en colère parce que cette affaire des Disparus de la rue de Rennes ne tourne pas du tout comme elle le voudrait. Alors, elle se retire dans ses appartements pour visionner son film favori : « L’Impératrice rouge ». Elle dit que ça la calme. 

(…)
À la fin du film, sa colère était calmée et elle pouvait réfléchir plus sereinement. Bientôt, lui revint en mémoire une phrase de cet ancien député de Corrèze, ministre récidiviste et éphémère de la IVèmeRépublique, Henri Queuille. Ce politicien expérimenté et cependant homme d’esprit avait un jour déclaré : « Peu de problèmes résistent longtemps à l’absence de solution. » Elle était là, la solution, la vraie, la troisième voie politique quand étouffer l’affaire et faire porter le chapeau à quelqu’un d’autre ne sont pas réalisables. Comment n’y avait-elle pas pensé plus tôt ! Ne rien faire ! Il suffisait de ne rien faire, de laisser les choses en l’état, de faire comme si de rien n’était, de ne pas constituer de commission ni de sous-commission et de ne plus jamais parler de cette disparition.
Sa décision était prise. Après s’être félicitée de la vivacité de son sens politique, elle appela son Directeur de Cabinet à son domicile.

— Mawouais…

— Allo, Hubert ? demanda-t-elle presque aimablement, car il n’était pas loin de deux heures du matin.

— Mawouais…

— C’est moi.

— Qui ça, mouha ?

— Vous avez bu, Hubert ? Continuer la lecture de LES DISPARUS DE LA RUE DE RENNES (Extrait)

WETBACKS (Extrait)

Je suis à Lynwood, dans South Central, pas loin du croisement d’Atlantic et d’Olanda, je recouvre de papier Alu les plateaux de haricots qui n’ont pas été mangés à l’anniversaire d’un petit gamin, lorsqu’on m’annonce qu’il faut que je rentre à la maison plus tôt que prévu, et probable que je ne reviendrai pas demain[1].

C’est Rubio lui-même qui vient de me dire ça, et il a l’air sacrément ennuyé. Pourtant, je peux pas m’en aller maintenant. Tous les autres sont déjà partis et y a encore plein de trucs à ranger avant de fermer. C’est peut-être pour ça qu’il a l’air embêté, Rubio.

Qu’est-ce qui se passe ? Il y a eu un accident ? Y a les flics chez moi ? Non, non, il sait pas, Rubio, il a juste reçu un coup de fil de son cousin. Il faut que je rentre tout de suite, et c’est pas sûr que je puisse revenir demain. Il n’en sait pas plus. Il est désolé.

« Bon sang, Rubio… ?

— M’emmerde pas, Rafael, c’est pas le moment, tu ferais mieux de partir maintenant ! Allez, fous-moi le camp ! Ce soir, c’est moi Continuer la lecture de WETBACKS (Extrait)

Go West ! (35)

(…) Et voilà ! Pour la deuxième fois en trois semaines, je suis enfermé à l’arrière d’une voiture de police ! Je ne suis pas menotté, c’est un progrès, mais cette fois-ci, je sais pourquoi je suis là et ça n’a rien pour me rassurer.
Tandis que le policier fait marche arrière pour se dégager, ses phares balaient mes cinq camarades. Éblouis, ils ne peuvent surement pas me voir mais moi, je vois bien leur air inquiet, désemparé. Derrière eux, j’aperçois l’arrière de l’Hudson Hornet et, au-delà, un petit morceau de plage et d’Océan Pacifique. Je ne le sais pas encore mais je ne reverrai plus notre belle voiture à 50 dollars.

Le flic s’appelle Jack Clemmons ; il est sergent ; c’est ce que dit son badge.  Ce crétin croit que j’ai voulu l’acheter avec un billet de 100 dollars glissé dans mes papiers ! Mais c’est complètement fou, ce truc ! Mon billet, il n’était pas glissé dans le permis ! Il était gentiment plié en deux dans un des compartiments de ce foutu portefeuille ! Et il a bien vu que je lui avais donné le portefeuille parce que je n’arrivais pas à le sortir, ce foutu permis rose à trois volets à la con que le monde nous envie, coincé qu’il était dans son foutu triptyque en plastique. Il a bien dû s’en rendre compte, cet abruti, que je lui avais donné pour qu’il puisse le lire sans le sortir du plastique !  Mais non ! Si ça se trouve, il voulait me voler, ce flic ! Il a fouillé mon portefeuille pour le trouver, le billet ! Ou alors, il avait envie de s’amuser, et il a fait semblant de prendre ça pour une tentative de corruption. « Vous avez voulu acheter un officier de police ! » Acheter un officier de police ! Tu parles ! Il s’ennuyait, l’officier de police, c’est tout ! Faut dire qu’à dix heures du soir, contrôler une grosse voiture marron sale immatriculée en Arizona rôdant à quinze miles à l’heure dans Santa Monica avec six types à bord, une vielle Hudson qui hésitait, faisait demi-tour sur Ocean Boulevard, hésitait encore pour Continuer la lecture de Go West ! (35)

La Chrysler

Dans le cadre de mon retour sur moi-même, je veux dire sur le moi des années passées, voici encore une rediffusion de cet article déjà nostalgique quand je l’ai publié une première fois en 2017.

Chronique des années 90

10-La Chrysler

En fait, on ne l’appelait pas comme ça, mais ça sonne tellement bien « la Chrysler ». Ça fait tout de suite voiture de luxe, puissante, bicolore et sur-dessinée, glissant silencieusement dans les rues de Beverley Hills. Cette image doit me rester de cette chanson parodique de Fernand Raynaud qui commençait comme ça :
T’es un peu belle, mignonne,
T’es balancée comme une Chrysler…

Dans les années 90, l’automobile américaine était en crise. On n’était même pas certain que cette marque puisse passer le prochain hiver. Mais Chrysler commençait à commercialiser en France un mini van sur lequel elle fondait beaucoup d’espoir, le Voyager. Son nez très court qui lui donnait une gueule de petit camion, sa silhouette carrée qui rappelait de loin la Citroën Kubik de mon enfance dont j’ai déjà parlé ici, ses barres de toit qui lui donnaient un air randonneur… Tout cela me plaisait bien. D’ailleurs, il faudrait bientôt remplacer la Volvo qui avait fait son temps et qui de toute façon devenait trop petite : les enfants tenaient de plus en plus de place à l’arrière, sans parler d’Ena, notre labrador jaune de trente-trois kilos.

Avoir à conduire cette encombrante voiture Continuer la lecture de La Chrysler

Mais où sont les neiges d’antan ?

Ce poème nostalgique a été publié pour la première fois le 16 février 2017. Quand parfois je réalise qu’avec l’âge et le réchauffement climatique, le ski pour moi, c’est bel et bien fini, voilà que le spleen me reprend. 

TIGNES LE LAC

À Jean-Louis
À Patrick
À François

Vous souvenez-vous, mes amis,
Aujourd’hui devenus bien vieux,
Quand nous allions faire du ski,
O combien c’était merveilleux.

Nous partions de très bon matin,
C’est à dire vers neuf heures et demi
Tandis que je rongeais mon frein
A attendre ce bon vieux Jean-Louis.

Je dressais le programme du jour.
Jean-Louis finissait son loto.
Patrick et François, pleins d’humour,
M’app’laient aussitôt Bénito.

C’était bien souvent vers la Daille Continuer la lecture de Mais où sont les neiges d’antan ?

POINTS DE VUE (Extrait)

Point de vue n°3

Dès l’aurore, je me décidai à rejoindre mon troquet habituel, Le Week-End. Vous savez, le petit rade qu’est en haut de la rue Gay-Lussac ! Je m’étais à peine installé en terrasse que l’église d’à côté s’est mise à sonner le tocsin. Onze coups ! Y m’ont résonné directos dans le ciboulot. Y savent quand même bien que j’ai le réveil délicat, les curetons ! Je m’en vais lui causer du pays, moi, au sacristain. « Mais bon, que je me suis dit, calme-toi, Dico, — mes potes les affranchis m’appellent Dico parce que j’ai du vocabulaire — calme toi, il fait beau, il Continuer la lecture de POINTS DE VUE (Extrait)

Go West ! (34)

(…) La journée passe comme ça, en confirmation des images que nous avons apportées avec nous. Et c’est vrai, tout est là, comme nous l’attendions : les beatniks et les maisons étranges de Venice Beach, la jetée de Santa Monica et sa fête foraine, la plage déserte de Pacific Palisades, les courbes majestueuses du Sunset Boulevard, les larges allées bordées de cocotiers et de maisons invisibles de Beverley Hills, l’animation de Hollywood Boulevard et le légendaire Théâtre Chinois.

La nuit est tombée. Vers dix heures du soir, nous n’avons toujours pas trouvé d’hôtel et nous décidons de dormir à nouveau sur une plage. Pour y parvenir, la route est évidente : Go West, young man ! Sunset boulevard vers l’ouest, jusqu’au bout. Je me suis débrouillé pour conduire, bien que ce ne soit pas mon tour. Même au volant de cette vieille voiture poussiéreuse, conduire ses deux tonnes dans les virages voluptueux du Boulevard le plus long et le plus célèbre du monde est un plaisir fabuleux. Toutes vitres ouvertes sur la douceur de la nuit, le coude à la portière, j’écoute le chuintement des pneus sur l’asphalte impeccable, je sens ma chemise flotter et battre au vent qui s’engouffre dans sa manche courte, je respire l’odeur des magnolias arrosés par les jets d’eau des jardiniers nocturnes mexicains, je regarde la lune qui nous suit en courant au sommet des bosquets qui cachent les propriétés.  Du côté de Pacific Palisades, le bord de mer est désert. Je roule doucement le long de la plage. Arrivé devant les lumières de la jetée de Santa Monica, je fais demi-tour pour reprendre Ocean Avenue vers le nord. Je finis par tourner à gauche sur Ocean pour m’engager dans une courte impasse et me garer face à l’océan. Je coupe le moteur. Nos quatre portières s’ouvrent en même temps.

D’un seul coup, nous sommes illuminés par les phares d’une voiture qui vient se coller contre le pare-chocs arrière de l’Hudson. C’est une voiture de police, avec sa Continuer la lecture de Go West ! (34)

MEXICAN HAT (Extrait)

(…) du sud de l’Utah. J’aime ces paysages jaunes, roses ou rouge brique, scandés par des rochers aux formes de dieux assis, découpés par de brusques canyons que franchissent des arches naturelles et que parcourent des filets d’eau café au lait.

Entre deux forêts de petits sapins clairsemés, la route 261 file vers le sud, toute droite. Le ruban noir que sépare en deux un double trait jaune tremble sous le soleil. Il ondule doucement au rythme de collines presque insensibles. Sur ses molles suspensions, le van rouge suit le même mouvement et tangue.

Nous sommes rejoints par trois Harley Davidson. Leur vitesse est à peine supérieure à la nôtre. Sans accélérer, ils nous dépassent tranquillement, potato-potato-potato. Sur chaque motocyclette, un homme est assis, bas, légèrement penché en arrière, portant un blouson de cuir sans manche directement sur la peau, un jeans, des bottes Santiago et un petit casque noir à l’ancienne duquel débordent une barbe et des cheveux abondants. Malgré leur air patibulaire, et à cause du plaisir évident qu’ils éprouvent à rouler au milieu de ces grands espaces, je ressens tout de suite de la Continuer la lecture de MEXICAN HAT (Extrait)